La lamentation du prépuce - Shalom Auslander : Juif américain élevé dans une communauté orthodoxe hassidique de Monsey appliquant les principes du Zohar, une interprétation rigoriste de la Thora, Shalom a passé toute son enfance sous la menace d'un Dieu vengeur et colérique. Vie codifiée, interdictions et obligations pléthoriques ont fait naître en lui frustrations et obsessions pour ce qui n'est pas cacher, pour la transgression. Entre rébellion et soumission vis à vis d'un Dieu tyrannique qu'il envisage comme une sorte de père fouettard mesquin, il entretient des rapports très familiers avec Lui, présence menaçante et railleuse qu'il passe son temps à agonir d'injures quand il ne supplie pas pour Son pardon. Devenu adulte, Shalom a pris des distances avec sa famille et la religion dans une tentative d'émancipation que ses névroses héritées de son éducation rendent difficiles. Paranoïaque, il imagine continuellement les scénarios catastrophes que Dieu pourrait lui infliger pour le punir de ses manquements. Lorsqu'il apprend que sa femme Orli est enceinte d'un garçon, les angoisses de futur père et les complexes de l'enfant se polarisent sur la question de la circoncision.
Autobiographie, autofiction à l'américaine, dans La lamentation du prépuce, Shalom Auslander règle ses comptes avec Dieu à travers un récit satirique à la narration faussement naïve. Jubilatoire, blasphématoire, il pose un regard paradoxal sur les affres de son éducation, s'estimant victime de ce qu'il appelle un "syndrome de Stockholm métaphysique". Selon lui, Dieu a créé les juifs dans un seul but : les faire souffrir. Et pour cela, au royaume des Cieux, le Ministère des châtiments cruellement ironiques veille. Mêlant sentiment de culpabilité hérité, complexe de persécution, l'auteur nous livre un grand coup de coup de gueule théologique, une méditation irrévérencieuse en forme d'exutoire décapant.
Autodérision, frénésie iconoclaste, résignation névrotique, il s'interroge sur ses désirs de liberté, s'affranchissant des carcans familiaux et religieux par l'humour qu'il manie grinçant, dévastateur et salutaire. Cependant, derrière la farce burlesque, se profile un subtil questionnement existentiel. Oeuvre sur l'identité culturelle, le poids asphyxiant de la famille, ce brûlot acide décode préceptes et dogmes d'une religion vécue par une communauté autarcique, égratignant au passage les absurdités du fondamentalisme.
Tandis que l'incompréhension et la terreur sont profondément ancrées en lui, Shalom Auslander lutte pour s'affranchir de ces croyances qui enferment l'individu. Sans tout à fait y parvenir, car il croit en Dieu, ce qui le met dans des situations délicates. Roman percutant, moderne, souvent plus émouvant que drôle d'ailleurs, La lamentation du prépuce n'est pas sans faire penser à Woody Allen ou à Philip Roth par cette forme d'humour juif féroce et désespéré. Inattendu, volontiers délirant voire tout à fait déjanté, ce livre moderne et enlevé se révèle touchant autant que réjouissant.
La lamentation du prépuce - Shalom Auslander - Traduit de l'anglais par Bernard Cohen - Editions Belfond - Collection de poche 10/18
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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