"J'écris de chez les moches, pour les moches, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf, aussi bien que pour les hommes qui n'ont pas envie d'être protecteurs, ceux qui voudraient l'être mais ne savent pas s'y prendre, ceux qui ne sont pas ambitieux, ni compétitifs, ni bien membrés. Parce que l'idéal de la femme blanche séduisante qu'on nous brandit tout le temps sous le nez, je crois bien qu'il n'existe pas". Ainsi débute le brûlot pour un nouveau féminisme de Virginie Despentes publié en 2006, King Kong Théorie. Ecrivain engagé, révolté, punk, elle y évoque la question du genre, de la condition de la femme et par répercussion de l’homme dans notre société où les normes morales de l’ordre bien-pensant aliènent les individus quelque soit leur sexe. Etat des lieux dans la brutalité des faits, Vanessa Larré, jeune metteur en scène, a adapté, pour le théâtre, cet essai percutant et essentiel.
Texte autobiographique, Virginie Despentes aborde sans détour, à travers le récit d’un vécu douloureux, les thèmes du viol, de la prostitution, de la pornographie, la réappropriation du corps. Puissance de la parole intime, d’une histoire marquée dans la chair, intensité de la confession et radicalité du manifeste, l’âpreté du propos a une dimension libératrice fondamentale. Humour et gravité s’y mêlent avec énergie dans une invitation à la réflexion sur nos propres expériences. Comment se construire malgré la souffrance, réinventer sa vie et réconcilier les genres ? King Kong est une allégorie de l’humanité tiraillée entre le primitif et le civilisé et non scindée dans l’opposition homme/femme telle que la théorie du genre voudrait nous l’imposer.
La mise en scène de Vanessa Larré fait preuve d’une grande créativité pour évoquer des thèmes crus. Vidéo, accessoires peu communs ou changements de costumes sur le plateau posent un univers visuel fort où le corps, au cœur du sujet, prend une ampleur singulière. Le choix d’un trio de comédiennes, Anne Azoulay, Valérie de Dietrich et Barbara Schultz, pour incarner un discours à la première personne donne à l’expérience personnelle une dimension collective. Le dialogue entre ces trois actrices à vif se révèle comme une saisissante expression de la voix des femmes dans leur complexité intime. Densité d’un texte dont l’écriture au scalpel, à la fois familière et construite, demeure accessible, interprétation forte et mise en scène inventive font de ce spectacle un moment puissant en émotions. Une belle réussite théâtrale.
King Kong Théorie
Théâtre de la Pépinière
7 rue Louis le Grand - Paris 2
Tél : 01 42 61 44 16
Auteur : Virginie Despentes
Metteur en scène : Vanessa Larré
Interprètes : Anne Azoulay, Valérie de Dietrich et Barbara Schultz
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