Lundi Librairie : Une bouche sans personne - Gilles Marchand - Sélection Cultura Talents à découvrir 2016



Une bouche sans personne - Gilles Marchand : Comptable discret qui dissimule le bas de son visage sous une écharpe, le narrateur retrouve tous les soirs depuis dix ans Sam et Thomas au bistrot que tient la belle Lisa dont ils sont tous un peu amoureux. Un jour, le narrateur renverse une tasse de café sur son écharpe et révèle une importante cicatrice qui le défigure. Il décide alors de raconter son histoire à ses amis, celle de son grand-père, Pierre-Jean qui l'a élevé. Cet homme extravagant qui lui a fait don de la fantaisie pour réenchanter la vie. Alors que s'ouvrent les portes de la mémoire et que les souvenirs affluent, leur solitude à quatre est bouleversée. Chaque soir, les clients du bistrot venus écouter le narrateur conter son passé, sont de plus en plus nombreux. Le quotidien est comme transformé par la puissance magique du récit. Sam le taiseux reçoit des lettres étranges de sa mère décédée. Thomas qui écrit un roman qu'il ne souhaite pas publier, se souvient d'enfants qu'il n'a jamais eu. Dans l'immeuble du narrateur, qui n'est plus entretenu depuis le décès récent de la gardienne, un voisin a monté un camp retranché dans les sacs poubelle qui s'entassent dans le hall d'entrée. Des musiciens tziganes hantent les escaliers. Un chien promène sa maîtresse dans la rue. Les mouches dansent sur les murs.

Sous une apparente légèreté qui cache la profondeur des blessures, Gilles Marchand évoque avec poésie, tendresse et humour l'histoire tragique d'un homme qui se souvient d'un passé intimement lié aux horreurs de la Seconde Guerre Mondiale. Récit cocasse, émouvant, terrible aussi, l'auteur révèle un beau talent de conteur. Au son de l'album blanc des Beatles, les contours de la réalité s'effacent pour faire place au merveilleux, un réalisme magique qui réenchante le monde. Volontiers rocambolesque, ce roman riche de références dans lequel on voit passer le piano-cocktail de Boris Vian, les Oulipiens de Georges Perec, le python Gros Câlin de Romain Gary, mêle avec charme, la poésie et l'absurde à la plus terrible vérité.

Pour se souvenir et survivre aux traumatismes, la fantaisie est la clé, l'imaginaire l'ultime recours. La dimension fantastique instillée avec grâce permet d'affronter les drames, de protéger l'innocence. Gilles Marchand, plume allègre, verbe clair, nous offre un texte foisonnant à l'imagination débridée où sourires et émotions sont inextricablement liés. Regard décalé, drôle et grave à la fois, loufoque et infiniment tendre aussi, ce beau roman étonnant est une pépite.




Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.