Paris : L'allée des Brouillards et son "château", petite histoire et mystères de Montmartre - XVIIIème



L'allée des Brouillards, lieu de mystère quasiment intact de la Butte, jouit encore d'une architecture préservée, d'un vaste hôtel particulier au destin extravagant, pompeusement baptisé château et de grands jardins hors de la vue des passants. Ce curieux passage nous parle des légendes du Vieux Montmartre. Attisant toutes les convoitises de Parisiens fortunés qui rêvent de campagne en ville, cette voie publique au charme champêtre inspire les artistes depuis le XVIIIème siècle. Entre mythes montmartrois et contes du Maquis, l'atmosphère y est propice à la flânerie heureuse, à l'imagination vagabonde.  L'allée des Brouillards entraîne les visiteurs dans un voyage à travers le temps.











La Passio sancti Dionysii rédigée entre 835 et 840 par l'abbé de Saint-Denis Hilduin raconte que Dyonisus, Denis en latin, premier évêque de Paris fut décapité vers 250 par les Romains en compagnie du prêtre Rustique et de l'archidiacre Eleuthère. Hilduin, assimilant son saint patron à Denis l'Aréopagite, moine promoteur du mysticisme chrétien, accroît le prestige miraculeux de celui-ci. Il confirme dans ces textes les légendes de céphalophorie lumineuse.

Saint Denis décapité se serait relevé et aurait saisi sa tête pour marcher jusqu'à l'endroit où sera élevée vers 475 par sainte Geneviève une église autour du tombeau. Eglise devenue basilique aujourd'hui. 9-3 représente. Traversant Montmartre, le Mont Martyrium, Denis se serait arrêté en chemin à une fontaine pour laver sa tête. Toujours selon Hilduin, cette source mythologique serait située sur la parcelle où s'élèvera le château des Brouillards. 

Au XVIIème siècle, installé sur le terrain, le Moulin des Brouillards qui sert de pressoir pour la mauvaise piquette de la Butte est surnommé le Moulin du Vin. La dénomination "brouillards" tend vers deux explications plausibles, les brumes matinales générées par l'abondances des sources ou bien plus festive, une allusion aux vapeurs du vin. En 1772 le moulin est en ruine mais les 7 000 m2 de terrain intéressent l'avocat au Parlement de Paris maître Legrand-Ducampjean qui y fait construire une maison de campagne. Habitation secondaire de plaisance hors de la ville, les folies sont à la mode comme la folie Sandrin

Un grand bâtiment flanqué de deux édifices carrés est édifié. Des deux constructions voisines, l'une sur un étage est occupée par un marchand de vin, tandis que l'autre sur deux étages sert de communs. Bien que la propriété demeure relativement modeste, elle prend rapidement le nom de château des Brouillards. L'avocat qui a le nez creux revend ses biens juste avant la Révolution. Expropriation, nationalisation, vente et revente, le domaine morcelé change souvent de propriétaire.










En 1850 les communs disparaissent et font place à de petits pavillons côté nord de l'allée de ce qui ne deviendra officiellement l'allée des Brouillards qu'en 1929. En 1854, dans son recueil Promenades et souvenirs, Gérard de Nerval, grand amoureux de Montmartre, évoque cette propriété qui le fait rêver.

«  Il y a dix ans, j’aurais pu l’acquérir au prix de trois mille francs. On en demande aujourd’hui trente mille (...) Ce qui me séduisait avant tout, dans ce petit espace abrité par les grands arbres du château des Brouillards, c’était le reste du vignoble lié au souvenir de saint Denis qui, au point de vue philosophique, était peut-être le second Bacchus.  C'était ensuite le voisinage de l'abreuvoir, qui le soir, s'anime du spectacle de chevaux et de chiens que l'on y baigne... admirable lieu de retraite, silencieux à ses heures... Il n’y faut plus penser, hélas ! Je ne serai jamais propriétaire. J’aurais fait faire dans cette vigne une construction si légère ! Une petite villa dans le goût de Pompéi avec un impluvium et une cella, quelque chose comme la maison du poète tragique. »

Tandis que les nouvelles constructions sont louées à divers occupants, vergers, potagers et jardins tournent au terrain vague. Celui-ci est progressivement occupé par des vagabonds du Maquis, Parisiens sans-abri, bohémiens, gens du spectacle, qui y construisent des habitations d'infortune, cahutes en planches et torchis. 

En 1878 dans une ancienne laiterie attenante au domaine, le sieur Kirschbaum fabricant de lampes ouvre au 15 de la rue Girardon, un bal "La Feuillée Montmartre" qui connaît un certain succès auprès des artistes et de la bourgeoisie. Fréquentée par Victor Hugo, Léon Gambetta, Joris-Karl Huysmans. La guinguette devient par la suite Le Petit Moulin Rouge puis décline avant d'être vendue en 1886.







En octobre 1880, Auguste Renoir s'installe avec sa famille au numéro 8 de ce qui ne s'appelle pas encore l'allée où il demeure jusqu'au printemps 1897. Le 15 septembre 1894 y nait le futur cinéaste Jean Renoir. En 1890, le château est à l'abandon, si délabré qu'il n'est même plus squatté, mais à partir de 1902 débutent de grands travaux qui, avec le percement de l'avenue Junot, mènent à la disparition du Maquis. Victor Perrot (1865-1963), notaire, historien des débuts du cinéma, membre du Vieux Montmartre, société d'histoire et d'archéologie dont il deviendra président en 1927, rachète la propriété en 1920. De ses splendeurs passées, il ne reste qu'un escalier datant du XVIIIème siècle.

Le tracé de la rue Simon-Dereure qui doit relier l'avenue Junot à l'avenue Girardon prévoit de raser les constructions du domaine château des Brouillards. Victor Perrot et l'association du Vieux Montmartre s'opposent à la jonction. Ils obtiennent gain de cause et sauvent le château des Brouillards de la démolition. De 1922 à 1926, Victor Perrot finance de grands travaux de rénovation et fait installer électricité. A la suite de difficultés financières, le domaine est divisé en deux parties en 1928. La partie occidentale donnant sur l'allée des Brouillards est revendue au général Piraud tandis que le 13 rue Girardon est conservé par Victor Perrot. De petits immeubles coquets et des villas de luxe remplace les fragiles constructions le long de l'allée. 











Aimée des artistes, Montmartre a toujours la cote auprès d'eux, même si, de nos jours, gentrification oblige, seuls l'argent et le succès permettent d'accéder aux rares propriétés de la Butte. Au numéro 4 de l'allée des Brouillards, le comédien Jean-Pierre Aumont résida de 1980 à 2000. La placette côté rue Girardon sera baptisée en hommage à la chanteuse Dalida qui vivait rue d'Orchampt. En hommage à quatre membres d'une famille de musiciens montmartrois, Francis (1870-1954), compositeur et chef d'orchestre, Robert (1878-1940), compositeur d'opérettes, Henri (1879-1947), virtuose de l'alto et de la viole d'amour, Marcel, violoncelliste, mort au champ d'honneur le 10 octobre 1914, la placette côté rue Simon-Dereure sera baptisée, en 1973, place des Quatre frères Casadesus.

La partie du château appartenant à la famille Perrot rachetée en 2002 par un industriel belge, a subi des transformations tranchant avec le côté historique du biniou. Ces extravagances lui ont cependant permis de revendre la bicoque au prix coquet de 7 750 000 euro en 2012.

L'allée des Brouillards - Paris 18
Accès par la place Dalida au bout de la rue de l'Abreuvoir ou par la place Casadesus au bout de la rue Simon-Dereur



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Paris secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Parigramme
Le guide du promeneur 18è arrondissement - Danielel Chadych et Dominique Leborgne - Parigramme

Sites référents