Paris : Villa Seurat, cité d'artistes et architecture du Mouvement Moderne à l'honneur - XIVème



La villa Seurat, véritable musée à ciel ouvert, nous raconte l'histoire du Mouvement architectural moderniste vu par André Lurçat et Auguste Perret. Le quartier Montsouris rattaché à Paris en 1860, faubourg festif au pied des fortifications de Thiers édifiées entre 1841 et 1844 et démolies entre 1919 et 1929, a longtemps été une terre de prédilection pour les artistes. Issus de la bohème de Montparnasse, peintres et sculpteurs, écrivains et poètes sont nombreux à s'établir dans les environs. Durant l'Entre-deux-guerres, ceux qui rencontrent le succès s'y font construire des maisons-ateliers. Alors que l'urbanisme des années 70 a durablement marqué le paysage urbain du XIVème arrondissement, celles-ci nous sont parvenues intactes grâce à la campagne nationale pour la préservation de l'architecture des XIXème et XXème siècles datant de 1975.














En 1899, le terrain qui deviendra la villa Seurat est occupé par des hangars et des écuries. En 1919, en compagnie de son frère le peintre, céramiste et tapissier, Jean Lurçat (1892-1966), l'architecte André Lurçat (1894-1970), collaborateur de Robert Mallet-Stevens, repère le terrain et convainc le propriétaire M. Schreibmann de le lotir.  A proximité de Montparnasse, centre de l'activité culturelle, la cité d'artistes en devenir devient un laboratoire d'architecture expérimentale sorte de pendant de l'impasse Gauguet qui ouvre sur la rue des Artistes à proximité. 

André Lurçat, architecte de la modernité, imagine huit villas. La première édifiée en 1924 est celle destinée à son frère, Jean Lurçat. Bâtiment en L dégageant une petite cour carrée, elle occupe aujourd'hui le numéro 4. La courte impasse courant sur 130 mètre de long et 6 de large, est ouverte sous le nom de Cité Seurat en hommage au peintre par arrêté du 6 avril 1926. Les maisons-ateliers aux larges baies vitrées forment un ensemble homogène auquel la touche finale est apportée en 1931. Jeux des volumes, épure, sobriété décorative, prépondérance de la ligne, abandon de la symétrie marque une conception architecturale moderniste qui tend vers un dépouillement ornemental. Les enduits en façade sont abandonnés, les moulures absentes. Béton armé, ciment et briques, matériaux bruts valorisés deviennent des éléments de décoration. 












De nos jours, villa Seurat, la hauteur de construction est limitée par arrêté préfectoral. De nombreuses villas (les numéros 1, 3, 4, 5, 7bis, 8, 9 et 11) créées par l'architecte André Lurçat sont inscrites au titre des monuments historiques depuis 1975. La Maison Townsend au numéro 1, construite en 1926 par André Lurçat pour l'écrivain américain Frank Townshend fut entre 1932 et 1932, la demeure de Salvador Dali et Elena Ivanovna Diakonova dite Gala. Au numéro 1bis, se trouve la la maison du sculpteur Robert Couturier par l'architecte Jean-Charles Moreux.

Edifiée en 1925 également par André Lurçat, la maison à la façade bombée dite Goerg et Gromaire aux 3 et 3bis, accueillait les ateliers du peintre pointilliste Marcel Gromaire et du peintre expressionniste Édouard Goerg. La maison Jean Lurçat au 4, dont je vous ai parlé, a été érigée en 1924. Elle fut le lieu où les Montparnos se réunissaient pour parfaire leur projet architectural. L'atelier resté en l'état est l'objet d'un projet d'aménagement. La maison du peintre Pierre Bertrand au 5 et celle du sculpteur Emile Bachelet au numéro sont également l'oeuvre d'André Lurçat.









Au 7bis, la maison-atelier de la sculptrice Chana Orloff (1888-1968) est l'oeuvre des architectes Auguste et Gustave Perret en 1926. Précurseur de l'utilisation du béton armé structurel, Auguste Perret s'est illustré par des compositions constructive et décorative. Cette villa marquée par la structure des poutres en béton déploie une vaste verrière ne façade. Baies menuisées au dessus desquelles s'alignent deux bandeaux horizontaux en béton, étage en pointe de diamant, appareillage de briques posées en quinconce percées de baies carrées d'environ un mètre par un mètre marque une esthétique très moderniste.

Au rez-de-chaussée, l'atelier aménagé en double hauteur s'ouvre sur de vastes portes en bois qui permettaient de faire entrer les blocs de pierre. La partie exposition sur la rue est disposé en galerie de faible hauteur, 2,10 m sous plafond. L'appartement au deuxième étage dispose d'une terrasse indépendante tandis que par le toit-terrasse doté de châssis zénithaux orientés au nord conduit la lumière jusqu'aux ateliers. Chana Orloff occupe la villa de 1926 à 1942. L'artiste échappe à la Rafle du Vel d'Hiv à l'été 1942 et décide de fuir en Suisse avec son fils. Bien juif, la maison est spoliée sous l'Occupation, pillée en 1943 par les Nazis. Rentrée d'exil en 1945, Chana Orloff découvre sa maison-atelier dévastée, une grande partie des oeuvres disparues, pillées ou brisées. Elle dresse un premier inventaire de cent-seize sculptures disparues. Chana Orloff réside entre la France et l'Israël. Aujourd'hui, inscrite au titre des monuments historiques, la maison devenue "Ateliers-musée Chana Orloff" se visite depuis 2019.











Les simples volumes géométriques avec fenêtres d'angle de la maison de mademoiselle Quillé au numéro 8 illustrent le goût de l'épure d'André Lurçat. Au numéro 9 se trouve l'atelier de Madame Bertrand et au 11 celui du sculpteur suisse Arnold Huggler, tout deux signés par André Lurçat en 1926. Au 15, un pavillon plus récent des architectes Maillard et Ducamp date de 1963. Si le numéro 16, est moins intéressant sur le plan architectural, il est la demeure de 1934 à 1937, du compositeur Maurice Thiriet (1906-1972) plus connu pour ses musiques de films dont Les visiteurs du soir de Marcel Carné.

Au numéro 18, Michael Fraenkel (1896-1957) philosophe et poète héberge de 1931 à 1939, Anaïs Nin et Henry Miller qui y débute la rédaction de ses fameux Tropiques, rejoints un moment par l'écrivain Lawrence Durrell. Au dernier étage de 1933 à 1934, ils ont pour voisins Antonin Artaud ainsi que le peintre Chaïm Soutine qui y installe quelque temps son atelier en 1937. Le peintre Mario Prassinos sera aussi l'un des résidents de cette maison. Au numéro 20, proche des Montparnos s'est installé le peintre d'origine italienne Alberto Magnelli (1888-1971) et au 22, le psychanalyste Michel de M'Uzan (1921-) a vécu et exercé.

Villa Seurat
Accès par le 101 rue de la Tombe Issoire - Paris 14



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du promeneur 14è arrondissement - Michel Dansel - Parigramme
Paris secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Parigramme
Le guide du patrimoine Paris - Sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette

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