Lundi Librairie : Un bien fou - Eric Neuhoff



Le narrateur, trentenaire publicitaire écrit une longue lettre à l’homme qui lui a volé sa fiancée, Maud, demoiselle aussi piquante qu'imprévisible. Lors de vacances sur une île au large de Rome, le couple fait la connaissance d'un charmant septuagénaire qui voyage en compagnie de sa petite-nièce. L'homme ne révèle pas immédiatement son identité. Confiance et sympathie venant, il finit néanmoins par se présenter. Sebastian Bruckinger, mythique écrivain américain retiré de la vie publique. Véritable icône, il vit reclus dans sa propriété Vermont au coeur de la forêt où il mène une existence paisible à l'écart du monde. Cet isolement volontaire attise la curiosité toute la scène littéraire. En somme, un double parfait de J.D. Salinger, l’auteur de "l’Attrape-cœurs".

Sous ses abords avenants, le romancier expérimenté a une idée derrière la tête. Sensible au charme de la jeune Maud, il envisage de la séduire en usant de son prestige de grand manitou des belles lettres. Malgré son côté vieillard libidineux et alcoolique, il a la forme intention de chiper la belle au héros qui a la moitié de son âge. Le narrateur, cocu magnifique, est partagé entre l’aigreur et l’admiration, la jalousie et l’engouement, la rancune et l’enthousiasme pour l’œuvre du romancier américain. Il se demande comment accepter que sa femme soit tombée follement amoureuse de ce vieux barbon, son idole.

Roman court à la plume légère et mélodique, Un bien fou ponctué d’aphorismes charmeurs et désabusés, mêle émotion et nonchalance avec grâce et humour désenchanté. On y retrouve les personnages d’un autre temps, d’une autre époque, chers à Eric Neuhoff, entre autre la charmante emmerdeuse évoquée plus haut. Ils boivent des grands crus, se délectent de plats raffinés, s’habillent négligé chic.

Il y a dans ce roman ainsi que dans la plupart de ses œuvres toute une iconographie empruntée au cinéma américain ou encore à François Truffaut, de belles images cinématographiques et des icônes blondes en rappel d’idéal. L’auteur, néo-hussard à la gravité nouvelle, dandy amoureux du détail élégant, rythme son texte de scènes délicieuses, vives et lumineuses, une belle après-midi d’été, une leçon de danse. Et porte un regard d’une infinie tendresse sur les femmes.

Eric Neuhoff évoque les choses de la vie avec une légèreté profonde, une ombre de sourire goguenard, insolent et une pudeur gracieuse qui se marient si bien avec son talent naturel, ce verbe harmonieux sans effort presque indolent mais d’une redoutable efficacité.

Un bien fou - Eric Neuhoff - Editions Albin Michel - Collection de poche Le Livre de Poche - Prix du roman de l'Académie 2001