Expo : Magdalena Abakanowicz. La Trame de l'existence - Musée Bourdelle - Jusqu'au 12 avril 2026


L'exposition "Magdalena Abakanowicz. La trame de l'existence", au Musée Bourdelle jusqu'au 12 avril 2026, rend hommage à une pionnière. Plasticienne polonaise, méconnue en France, Magdalena Abakanowicz (1930-2017) est pourtant l'une des figures de proue du renouveau des arts textiles dans les années 1960, à l’instar de Sheila Hicks et Olga de Amaral. Plus de quarante ans après la dernière exposition du Musée d'art moderne de la Ville de Paris, en 1982, le Musée Bourdelle célèbre sa pratique singulière et engagée. En collaboration avec la Fondation Marta Magdalena Abakanowicz Kosmowska et Jan Kosmowski de Varsovie en Pologne, "La trame de l'existence" réunit soixante-dix ensembles, trente-trois installations, dix œuvres textiles, sculptures, dessins et photographies. 
 
Magdalena Abakanowicz considère la fibre comme l'élément fondamental du vivant, végétal comme animal. Elle tisse à partir de laine, sisal, lin, coton, jute, corde, crin de cheval ou encore textile de récupération, du fait de la pénurie de matériaux en Pologne communiste. À partir des années 1960, elle conçoit des volumes monumentaux emblématiques, les Abakans. Sa vision de l'art textile s'exprime dans une pratique tridimensionnelle organique au minimalisme radical. Les volumes induisent une dimension immersive. La souplesse du matériau, sa sensibilité aux flux d'air, aux mouvements, propre à la nature du textile, détermine une interaction avec les visiteurs. En parallèle, elle réalise des sculptures à partir de moulages de corps en plâtre, conceptualise des épidermes, mues successives desquelles s'extraire. 

Densité, répétition des motifs, reproduction, elle formalise l'expérience physique du monde. Son oeuvre témoigne de la Grande Histoire du XXème siècle, ère marquée par les tragédies et les conflits mondiaux, des destructions physiques et psychologiques. Le travail de Magdalena Abakanowicz traduit plastiquement les grands bouleversements politiques et sociaux, dénonce le totalitarisme, la violence, la barbarie. Autant de thématiques qui résonnent avec les problématiques contemporains, humanisme, féminisme et écologie. 


Série Têtes : Incarnations (1986)

Andromède II (1964)


Dos (1980) - Figures dansantes (2000)

Grand Abakan rouge (1969)

Dos (1980) - Figures dansantes (2000)

L'exposition "Magdalena Abakanowicz. La trame de l'existence", au Musée Bourdelle, chronologique et thématique, déploie un panorama de l'oeuvre de la plasticienne polonaise et éclaire sa démarche par des clés biographiques importantes. Magdalena Abakanowicz nait en 1930 dans une famille de Russes blancs d'origine tatare, réfugiée en Pologne à la suite de la Révolution bolchévique de 1917. Ses parents, propriétaires terriens à Falenty près de Varsovie, lui offrent une enfance en prise directe avec la nature, grand espace forestier dont elle conserve un souvenir vivace et inspirant tout au long de son existence. 

La famille s'installe à Varsovie au début de la Seconde Guerre Mondiale et assiste à la destruction de la ville. Au lendemain du conflit, la Pologne passe sous influence soviétique dans le cadre d'un régime communiste autoritaire. Derrière le rideau de fer, frontière physique et idéologique au sein de l'Europe, entre les pays du bloc de l'Ouest et ceux du bloc de l'Est, les privations, les pénuries, les restrictions des libertés caractérisent le quotidien. 

Magdalena Abakanowicz intègre l'Académie des Beaux-arts de Varsovie en 1950. Diplômée en 1954, son travail fait l'objet d'une première grande exposition en 1960, au cours de laquelle elle présente gouaches sur papier et tissages. L'évènement prend fin abruptement, interdit par le régime communiste pour "formalisme". 

Magdalena Abakanowicz vit en Pologne sous contrôle soviétique, derrière le rideau de fer. En tant qu'artiste, elle obtient des visas exceptionnels, précieux sésames qui lui permettent de voyager et d'exposer ses oeuvres à l'étranger. Mais elle refuse toujours de s'enfuir. Elle retourne à chaque fois en Pologne, malgré le régime autoritaire communiste, où les artistes sont confrontés à la censure, les pénuries, les conditions de travail restrictives.

Rapidement, elle se détourne de la peinture pour se consacrer au tissage, art féminin transdisciplinaire, pratique artisanale textile à laquelle elle associe les techniques de la sculpture. Elle participe en 1962, à la Première biennale internationale de la tapisserie de Lausanne, créée à l'initiative de Jean Lurçat, où elle présente "Composition de formes blanches" (1962). Dans le cadre d'un renouveau de l'art textile en Europe, Magdalena Abakanowicz cherche à abolir la distinction des rôles, entre le peintre cartonnier et le lissier. À partir de 1965, elle enseigne à l'École nationale supérieure des arts plastiques de Poznań où elle demeure professeur jusqu'en 1990. 


Paysages - Abakan noir - Embryologie (1980) - Compositions (1991)

Paysages

Embryologie (1978-80)

Série Corps (1981)

Mutants (1992-94)

La Foule V (1995-97)

À la fin des années 1960, elle acquiert une reconnaissance internationale grâce à la série des "Abakans", sculptures textiles de sisal à la palette chromatique, rouge, brun, orange, noir. Formes organiques, charnelles, fleurs exotiques aux pistils démesuré, sexe féminin - interprétation qu'elle a toujours réfuté de son vivant - Magdalena Abakanowicz innove, expérimente, transcende la frontière entre tissage et sculpture. S'affranchissant des codes, elle développe des techniques lissières pour obtenir des formes en reliefs. Suspendues ou déployées au sol, elles investissent l'espace, créent des environnements. 

Parmi les oeuvres les plus édifiantes, se trouve "Abakan rouge", pièce phare exposée pour la première fois à la Biennale de tapisserie de Lausanne en 1969 et conservée dans les collections de la Tate. Un extrait du film "Abakany", tourné en partie dans l'atelier de l'artiste, réalisé en collaboration avec le cinéaste Jaroslaw Brzozowski (1911-1969), diffuse des images frappantes à la fois du processus créatif et notamment des Abakans déployés en pleine nature dans les paysages de la Mer Baltique.

Dès les années 1970, le travail de Magdalena Abakanowicz fait l'objet de nombreuses expositions personnelles en Europe, aux États-Unis, au Japon dès les années 1970. Ses créations murales réalisées spécifiquement pour des intérieurs en Suisse Romande rencontrent un grand succès. 

Elle délaisse un temps le tissage et son vocabulaire abstrait pour se consacrer à la figure humaine, dans le cadre de série d'envergure parmi lesquelles la série "Altérations", quatre-vingts moulages de dos, ou encore "Figure de dos" (1976-1980). Les silhouettes sculpturales se composent de bandes de toile de jute plaquées sur des moulages en plâtre de corps afin d'en capturer la forme en creux, coquilles ensuite rigidifiées, figées par de la résine. L'installation "Dos", également présentée à la Biennale de Venise de 1980 autant que la série "Foules" (1988) rassemble des silhouettes humanoïdes dépourvue de visage, privée d'identité par l'absence de tête. Solitude des multitudes, écho à l'histoire de la Pologne, l'individu se dilue dans un grand tout collectif, la collectivisation des ressources, des espaces, la négation des personnes. Pour la série "Les paysages", bas-reliefs inquiétants, Magdalena Abakanowicz moule des corps pétrifiés dans le sol, s'inspirant des sites archéologiques de Pompéi et Herculanum.  


Série Figures féminines - Aile I

Série Mouche (1993)


Série Jeux de guerre - La Pie (1992)

Série Jeux de guerre - Le laboureur (1996-97)


En 1980, lors de la 39ème Biennale de Venise, Magdalena Abakanowicz présente, dans le cadre du Pavillon polonais, une installation "Embryologie" (1978-1980). Elle dispose au sol dans une procession envahissante, un ensemble de cocons en toile de jute suturés, organiques, déclinés en tailles variées. Ils évoquent dans leur forme les grappes d'œufs de grenouille de son enfance. Aujourd’hui conservée à la Tate Gallery, l'oeuvre est présentée au Musée Bourdelle dans une occurrence au format resserré d'une cinquantaine de cocons. 

Au cours des années 1980, elle renoue avec la pratique graphique, le dessin au fusain, et la photographie. La série des "Torses", des "Mouches" interroge le mystère du vivant, par un regard qui plonge au-delà de l'épiderme jusqu'aux tréfonds des chairs et des organes.

La série "Jeux de guerre", à partir de 1989, explore les traumas de la guerre, l'obstination du vivant, la résilience possible. L'ambiguïté même de ces structures monumentales leur permettent de passer sous les radars de la censure. "La Pie" (1992), tronc d'arbre enserré dans une prothèse de métal, convoque le souvenir du moignon de sa tante, mutilée par une salve de mitrailleuse, sous le feu d'un soldat allemand.

Magdalena Abakanowicz. La trame de l'existence
Jusqu'au 12 avril 2026

Exposition rendue possible grâce au soutien actif de la Fondation Marta Magdalena Abakanowicz Kosmowska et Jan Kosmowski (Varsovie), de l’Institut polonais et de l'Institut Adam Mickiewicz. Les principaux prêteurs sont la Fondation Marta Magdalena Abakanowicz Kosmowska et Jan Kosmowski de Varsovie, la Fondation Toms Pauli de Lausanne, le Musée central des Textiles de Lódź, la Tate Modern de Londres, le Musée national de Wrocław et le Musée d’art moderne de Paris.

Musée Bourdelle
18 rue Antoine Bourdelle - Paris 15
Horaires : du mardi au dimanche de 10h à 18h, fermeture le lundi et certains jours fériés 
Tél : 01 49 54 73 73
Métro Montparnasse lignes 4, 6, 12 / Falguière ligne 12



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.