Expo Ailleurs : Alina Szapocznikow. Langage du corps - Musée de Grenoble - Jusqu'au 4 janvier 2026

Dessins préparatoires / Tumeurs accumulées (1970)


L'exposition "Alina Szapocznikow. Langage du corps", célèbre l'oeuvre inclassable, baroque d'une iconoclaste existentielle. Au Musée de Grenoble jusqu'au 4 janvier 2026, il s'agit de la première rétrospective consacrée à l'artiste franco-polonaise dans son pays d'adoption. Tout au long de sa carrière, Alina Szapocznikow (1926- 1973) explore le corps, sa dimension érotique et sa vulnérabilité, "unique source de toute joie, de toute souffrance, toute vérité". Charnel, puissant, organique, viscéral, son travail capture les échos de la finitude, saisit la fragilité de la vie. Œuvre au noir, elle transmute la figure humaine démantelée, mécanisée en pierre philosophale. Par l'expérimentation des formes, des matériaux, elle rend compte d'une expérience intime et universelle, habiter un corps de chair en proie aux aléas, à l'allégresse, au plaisir, au désir, à la maladie, à la douleur. Radicale, paradoxale, l'œuvre d'Alina Szapocznikow s'inscrit dans une puissante hybridation. Pionnière, à l'instar des sculptrices Louise Bourgeois (1911-2010), Eva Hesse (1936-1970), Niki de Saint Phalle (1930-2002), négligée par l'histoire de l'art, elle accède à la reconnaissance posthume à partir de 2011. Son travail fait l'objet d'expositions à Bruxelles, Los Angeles et au MoMa de New York.

Sophie Bernard, conservatrice en chef du musée de Grenoble, commissaire de l'exposition développée au Musée de Grenoble en partenariat avec le musée de Ravensburg, a imaginé un parcours en quinze salles, au fil de trois périodes, la jeunesse et les créations à Prague de 1945 à 1951, puis l'ère polonaise de 1951 à 1962 et enfin les dix dernières années à Paris de 1963 à 1973. L'évènement monographique réunit plus de cent-cinquante pièces, sculptures, dessins préparatoire, oeuvres graphiques ainsi que des documents d'archives, des photographies. 


Machine en chair (1964)

Nu (1954) / Marie-Madeleine (1959-60) / Âge difficile (1956) - Escalade (1959)



Dessins préparatoires - Développé (1964) - Dessins

Née en 1926 en Pologne, l'enfance et adolescence d'Alina Szapocznikow sont marquées par le drame de la Shoah. Son père médecin meurt de la tuberculose en 1938. La Pologne envahie par l'Allemagne, la mère, le petit frère Miroslaw et Alina sont transférés vers le ghetto de Pabianice en 1940, puis en 1942 vers le ghetto de Lodz. Déportée à l'âge de seize ans avec sa mère, elle survit aux camps de concentration, Bergen-Belsen Auschwitz, Theresienstadt. Libérée en 1945, elle se réfugie à Prague avec un groupe d'anciens déportés. Elle fréquente l'entourage d'Otto Gutfreund (1889-1927) l'un des fondateurs de l'art moderne tchécoslovaque, dont le cubisme analytique et organique influence ses premières oeuvres. 

En 1948, Alina Szapocznikow intègre l'École des Beaux-Arts de Paris. Elle y rencontre César (1921-1998) et les artistes du nouveau réalisme, dont la figuration s'oppose à l'abstraction. Elle fait la connaissance de Ryszard Stanislawski (1921-2000), historien de l'art, critique, futur directeur du musée de Lodz. Il lui fait découvrir Picasso, Dubuffet, Giacometti, les surréalistes. De retour en Pologne, le couple connait des difficultés matérielles que viennent soulager les premières commandes publiques. Ils se marient en 1952. Elle apprend sa stérilité. Ils décident d'adopter un enfant, Piotr. Au décès de Staline en 1953, la poigne soviétique sur la Pologne se dessert un peu. La libéralisation se manifeste dans le domaine des arts. Le réalisme socialiste n'est plus le seul courant à pouvoir s'exprimer. Le langage plastique d'Alina Szapocznikow évolue se détache de cette esthétique pour emprunter une voie plus existentialiste. En 1956, elle participe au concours pour le pavillon polonais de l'exposition universelle de Bruxelles. 


Dessins préparatoires / Goldfinger (1965) / Homme avec instrument (1963)

Portrait multiple (Double) (1967)

Sculptures-lampes (1970)

Grand ventre (1968) / Noyée (plongée) (1968)

Grande tumeur (1970) - Tumeurs accumulées (1970)

Alina Szapocznikow fait la connaissance du graphiste Roman Cieslewicz en 1958. Le travail de la sculptrice embrasse une abstraction figurative organique, dont témoigne "Marie Madeleine" (1959), œuvre exposée à la Biennale des jeunes artiste à Paris. En autonomie, sa réflexion plastique emprunte à l'expressionnisme, au surréalisme, au pop art et au nouveau réalisme pour creuser son propre cheminement. Elle expérimente dans la pratique et les matériaux, taille directe dans le marbre, fonte de bronze, moulage de résine de polyester et de mousse de polyuréthane, empreinte de plâtre.

Cet éclectisme traduit un intérêt pour les formes biologiques. Il se manifeste avec un premier moulage direct du corps, "Noga / Jambe" (1962) dont l'exposition au musée de Grenoble présente deux versions plâtre et bronze. Alina Szapocznikow fragmente les corps, prélève les parties érotisées, bouches, seins, jambes, ventres, disséminés pour mieux être réassemblés. Le corps objectivé, objet de désir, objet de consommation devient le lieu de la contestation, du militantisme. L'art dissident et sensuel d'Alina Szapocznikow questionne le statut des femmes artistes et plus largement la condition des femmes dans les années 1960. En 1962, elle participe à la Biennale de Venise où elle rencontre Pierre Restany. Désir de reconnaissance et de liberté, l'année suivante elle s'installe définitivement en France avec Roman Cieslewicz. Elle travaille dans un atelier près du Père Lachaise.  

L'influence du Nouveau réalisme se traduit dans sa fascination pour l'esthétique industriels et les éléments mécaniques, "Homme avec instrument" (1963). Ses assemblages hybrides associent la chair et la mécanique, "Machine en chair" (1963), sculpture de ciment, plastique, fer. Alina Szapocznikow produit des compositions organiques à rebours des canons de l'abstraction formaliste alors dominante. Ses sculptures lampes, bouches, seins illuminés, moulage direct de poitrines et de lèvres montés en lampes de polyester rencontrent un grand succès auprès du public.


Madone de Krużlowa Maternité (1969) / Série Souvenirs (1970)

Photosculptures (1971)

Série Fétiches - Sein en chiffon vert (1970-71)

Piotr (1972) /  / L'enterrement d'Alina (1970)


Production sculpturale et graphique, Alina Szapocznikow développe une mythologie personnelle, un langage plastique surréalistes où les membres, ventres, jambes, bouches, deviennent éléments de vocabulaire. Ses oeuvres abstraites et organiques déconstruisent le corps humain, à l'instar de "Développé" (1964), ou encore "Goldfinger" (1965), deux jambes de femmes en ciment patiné d'or, assemblées autour d'un parechoc de voiture, sculpture distinguée par le prix de la fondation Copley en 1966. 

En 1967, Alina épouse Roman. En 1969, les médecins lui diagnostiquent un cancer du sein. Dès lors, son travail parcouru d'une pulsion de vie résiliente prend une dimension mémorielle. La série "Souvenirs" (1969-1972) met en scène des photographies d'amis, de ses proches, le plasticien Christian Boltanski, le mannequin Twiggy. Papiers froissés, photographies, coupures de presse, vêtements et gaze emprisonnés dans des gangues de résine de polyester. La série "Tumeurs" dans ses formes brutes convoquent la mémoire, la maladie, la mort. 

Un temps en rémission, Alina Szapocznikow s'accorde des réflexions plus joyeuses. Rire et Éros, elle présente dans des coupes à dessert de cristal, des moulages colorées de seins et de bouches, dans la série "Dessert". L'intervention du hasard dans la série de photographies "Photosculptures" (1971), capture en noir et blanc élégant et en gros plan, à la façon de minuscules sculptures, les circonvolutions de chewing-gums mâchés par l'artiste. Avec "Piotr" 1972 moulage du corps de son fils, elle donne naissance à l'enfant adopté. 

L'année 1970 marque une rechute. Corps mutants, sculptures molles, déliquescence de la chair attaquée par la maladie, l'expressivité jusqu'au malaise dérange par sa dimension morbide, son humour macabre, politesse du désespoir, qu'illustre "L'enterrement d'Alina" (1970). Alina Szapocznikow décède en 1973 à l'âge de quarante-sept ans des suites de son cancer. 

Alina Szapocznikow. Langage du corps
Jusqu'au 4 janvier 2026

Musée de Grenoble
5 place Lavalette - 38000 Grenoble
Tél : 04 76 63 44 44
Horaires : Du mercredi au lundi 10h à 18h30 - Fermé le mardi - Fermé le 1er janvier, 1er mai et 25 décembre - Fermeture anticipée à 17h30 les 24 et 31 décembre - Clôture des caisses 30 minutes avant la fermeture - Évacuation des espaces : à 18h15 pour le musée




Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.