Lundi Librairie : Vertèbres - Morgane Cassarieu

 


Au Vieux-Boucau, station balnéaire des Landes, construite autour d'un lac artificiel dans les années 1970, l'horizon limité prend tout sa dimension en hors-saison. En 1997, Sasha, une fille qui se sent garçon, écrit son journal intime, seul confident. Elle raconte la bande de gamins à laquelle elle appartient, le Club des Ratés, l'équipe des souffre-douleur, composée de Brahim, victime du racisme pour ces origines maghrébines, Jojo, le petit gros diabétique qui n'a pas de père, objet de moqueries perpétuelles. La seconde narratrice, Marylou, la mère de Jojo, considérée comme la fille facile du coin, manifeste des troubles dissociatifs de la personnalité dans ses prises de parole. Broyée par l'existence, une soeur cadette trisomique, cette figure maternelle surprotectrice transmet malgré elle son héritage traumatique à son enfant. Alors que des forains ont installé leur chapiteau à proximité de la ville, Jojo se fait enlever par une mystérieuse femme à barbe. Il est retrouvé une semaine plus tard par les gendarmes, sur une aire d'autoroute. Transformé, une blessure à la poitrine, mutique, amaigri et une vertèbre surnuméraire. D'inquiétantes métamorphoses suivent son retour. 

Récit allégorique sur fond de lycanthropie, "Vertèbres" a été publié en 2021 aux éditions du Serpent à Plumes. Morgane Caussarieu, familière du genre horrifique, envisage des thématiques actuelles dans le contexte de la fin des années 1990, déterminisme social, dysphorie de genre, masculinité toxique, à laquelle elle associe des clés universelles la puberté, la parentalité, l'enfance maltraitée. Dans un microcosme isolé, à la marge, atmosphère glaçante de désolation, la romancière décrit une humanité blessée qui peine à faire société.

Le roman traduit une profonde nostalgie des années 1990, ère pré-internet, avant les téléphones portables et les réseaux sociaux. Les références de la culture populaire prolifèrent, entre bande-son composée de Roch Voisine et Lara Fabian, jeux de cours de récréation à l'instar des Pogs, lectures enfantines de la collection "Chair de Poule", émission jeunesse les Minikeums. Et même le chien Megazord, dont le nom est emprunté aux jouets des Power Rangers. 

Par association et jeux de miroir, Morgane Caussarieu joue avec les archétypes, les symboles et développe une réflexion sur la figure du monstre, les symboles le loup la part d'ombre en soi. Elle y ancre un récit où les transformations viennent interroger l'innocence brisée, l'adolescence comme période de transition, passage à l'âge adulte, les relations des familles dysfonctionnelles, l'altérité, le handicap.