Paris : Parc des Buttes Chaumont, une création paysagère du Second Empire, l'un des plus beaux jardins de la ville - XIXème

 


Le parc des Buttes Chaumont, inauguré le 1er avril 1867 à l'occasion de l'ouverture de l'Exposition Universelle, se distingue par l'inventivité de ses aménagements paysagers. Le site d'une superficie de 24,73 hectares, accessible par six portes principales se déploie en triangle curviligne. Il est clos par des grilles et délimité par de vastes rues haussmanniennes, Manin, Botzaris et à l'Est la rue de Crimée. Sa conception sous le Second Empire, dans le cadre des grands travaux de modernisation de Paris conduits  sous la houlette du préfet Haussmann, témoigne d'une philosophie de la nature en ville inspirée par les jardins anglais. L'esthétique ravinée, évocatrice des paysages de montagne, présente de fortes dénivellations, des cascades, des rochers, des falaises. Terrain accidenté, profondes excavations, paysage mouvementé, sa topographie est le double produit de l'exploitation des anciennes carrières de gypse et des travaux d'envergure menés durant cinq années pour transformer un site aride de triste réputation en espace vert prestigieux.

Le baron Haussmann charge l'ingénieur Adolphe Alphand (1817-1891), chef du service des promenades et plantations de la Ville de Paris, de la conception et de la réalisation du parc des Buttes Chaumont. Il s'entoure de collaborateurs expérimentés, ingénieurs et paysagistes. Jean Darcel (1823-1906), ingénieur des ponts et chaussées, prend en charge les détails techniques. Le paysagiste Jean-Pierre Barillet-Deschamps (1824-1874) assisté d'Édouard André (1840-1911) apportent leur expertise. Barillet-Deschamps trace chemins, vallons, formule le choix des essences. André conduit les travaux. 

L'architecte Gabriel Davioud (1824-1881) dessine édifices, éléments d'architecture, mobilier. Pour le répertoire architectural des huit maisons de gardes et trois restaurants, il emprunte à l'esthétique des chalets suisses et des cottages anglais. Il imagine des fabriques dans l'esprit du XVIIIème siècle, temple monoptère au sommet du promontoire, kiosque orientaliste, ponts. L'ingénieur hydraulicien Eugène Belgrand (1810-1878), en charge des égouts et du réseau d'assainissement de Paris, conçoit le système d'adduction et de circulation des eaux du parc. 

Le parc est développé selon la double idée d'une nature originelle combinée à celle réinventée par la main de l'homme, repensée, fruit de l'imaginaire. Le parc des Buttes Chaumont a inspiré dès son inauguration les hommes de lettres. Baudelaire lui consacre un poème en prose "Du haut des Buttes Chaumont", Aragon tout un chapitre dans "Le Paysan de Paris".








Le Calvus Mons, Mont Chauve qui donner son nom au parc, est mentionné dès le IXème siècle. Sous l'Ancien Régime, Les Fourches de la grande Justice de Paris, lieu d'exécution de la justice royale, sont implantées au pied de l'ensemble des buttes Chaumont. Le célèbre gibet de Montfaucon demeure en activité du début du XIème siècle jusque sous le règne de Louis XIII. Il est déplacé en 1623 vers sur un site situé entre le 46 rue de Meaux et l'actuelle place du Colonel Fabien. Le gibet de potence est démantelé définitivement dès 1760. 

Des moulins s'installent sur l'ancienne commune de Belleville et les buttes environnantes à partir du XVème siècle, au gré de lieux-dits aux noms pittoresques, les Carrières du Centre, la Chaudière de l'Enfer, les Balettes, les Sonneries, les Grands Chaumont, les Buttes Chaumont. Au XIXème siècle, sur le plateau, le chemin des moulins ancêtre de notre actuelle rue Clavel, mène au Moulin du Coq, à l'emplacement de l'actuel square Simon Bolivar, au moulin des Bruyères ou moulin Neuf, à l'angle rue Fessart et Clavel, au moulin de la Chopinette à la croisée des rues Fessart et Preault, au moulin Hallé, rue des Alouettes. Sur la butte Bergeyre, se trouvent le moulin Vieux, le moulin de la Carosse, le moulin Maquereau, le moulin de la Folie, le Grand Moulin, le moulin de la Tour de Chaumont. À cet ensemble conséquent s'ajoutent encore les moulins de la butte Beauregard et du village de Belleville en contrebas. 








Depuis le XIIIème siècle jusqu'en 1860, les sous-sols des Buttes Chaumont sont exploités. Les carrières de gypse et de pierres de meulière fournissent des matériaux de construction. Le gypse est transformé en chaux à proximité, dans des fours dont la voirie conserve la trace, à l'instar de la rue des Chaufourniers. Les carrières se déploient sur trois étages de galeries, hautes de quinze mètres de hauteur parfois superposées. L'exploitation cesse lors de l'annexion des communes limitrophes au territoire de la ville de Paris. L'extraction a fragilisé les sous-sols. Les risques d'effondrement rendent impropres à la construction ces terrains. 

De plus, le site de triste réputation fait partie des zones insalubres. En contrebas des buttes, la voirie de Montfaucon sert de décharge à ciel ouvert. Réceptacle des déchets et immondices de toute sorte, ce dépotoir faubourien recueille notamment la vidange des fosses d'aisance collectées par le service municipal de Paris. 

Avant l'ouverture des abattoirs généraux de la Villette en 1867, les Buttes Chaumont sont le principal centre d'équarrissage parisien par lequel transitent douze-mille chevaux et vingt-cinq-mille petits animaux. Les carcasses sont jetées directement dans la fosse tandis que l'industrie du cuir, les tanneurs, fabricant de peigne et autres artisans récupèrent les éléments utiles à leur métier. Odeurs méphitiques, émanations fétides, pourtant une activité se développe en lien avec les boues extraites de la fosse, production d'engrais, d'intrants chimiques. Toute une économie de la récupération.









L'annexion des communes de 1860 ouvre de nouvelles perspectives. Outre les grands travaux de modernisation de la ville, Napoléon III et le baron Haussmann s'investissent dans le développement d'un réseau d'espaces verts urbains sur le modèle de Londres. Sur l'ancien site des Buttes Chaumont sera établi un jardin public, lieux d'agrément, de promenade, d'embellissement mais aussi d'assainissement.

En 1862, la Ville de Paris se porte acquéreur des parcelles des buttes auprès de la Société civile des carrières du centre, paysage aride, dénué de végétation. Le soir, les anciennes carrières d'Amérique deviennent le repaire de miséreux sans abri ou des trafiquants des gangs d'Apaches de Belleville. Les terrains sont déclarés d'utilité publique par décret impérial du 22 juillet 1862. Le "Projet d'établissement d'un square sur les Buttes Chaumont", projet général rédigé par l'ingénieur Jean Darcel, est présenté et validé lors d'un conseil municipal en 1863. Le plan prend parti des paysages accidentés conservant les escarpements, les précipices résultats de l'activité des carrières. Les travaux considérables débutent en 1864. Durant cinq ans, plus d'un millier d'ouvrier, une centaine de chevaux, œuvrent au sein de l'immense chantier traversé par des voies ferrées. La longue phase de remodelage des reliefs et de terrassement s'étend jusqu'en 1866. Trois buttes sont conservées, les autres arasées. 

Les terrains de terre glaise et de marne argileuse, sont impropres aux plantations. De la terre végétale est répandue sur l'ensemble du site. Les premières plantations sont lancées en 1865 sur les parcelles prêtes. Le paysagiste Jean-Pierre Barillet-Deschamps et Édouard André ont porté leur choix sur des essences variées locales et allogènes, séquoias, érables, paulownias, sophoras, platanes, peupliers, tilleuls, noyers. Les travaux paysagers interviennent en parallèle de la mise en place des voies de circulation. 








À l'Ouest du parc, le paysage vallonné et ses reliefs remodelés évoquent les abords des Alpes. Le panorama sur la ville depuis le point culminant, la butte Puebla surélevé jusqu'à une altitude de 105 mètres, y est unique. La butte Fessart ménage ses effets avec une vue vers Montmartre. Portion la plus pittoresque, le secteur centre et Est du parc, le long de la rue de Crimée, se caractérise par une tranchée ouverte afin de permettre l'établissement des voies ferrées nécessaires au chantier puis rattachées à la ligne de la Petite Ceinture. 

Côté rue Botzaris, relief plus tourmenté de décor alpin, le front de taille des anciennes carrières à ciel ouvert trace une ligne de falaises à pic de 35 mètres. Le promontoire central en surplomb, au sommet duquel se trouve le temple de la Sibylle, a été détaché du reste de la falaise afin de former le rocher de l'île du Belvédère, ceinte par un lac artificiel de près de deux hectares. Accessible par un pont suspendu et un pont de pierre, un escalier de 173 marches offre une descente jusqu'au lac. Sur la rive Sud, une grotte a été aménagée à l'entrée d'une ancienne carrière souterraine. Cette partie du parc, actuellement en travaux, n'est pas accessible. 

Parc des Buttes Chaumont
Entrées : 1-7 rue Botzaris / 2-6b rue Manin / 55 rue de Crimée / 42 avenue Simon-Bolivar - Paris 19
Métro Buttes Chaumont ligne 7bis, Bolivar ligne 7bis, Botzaris ligne 7bis, Laumière ligne 5



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.