Paris : Vestiges de la guillotine, cinq dalles de granit anodines témoignent de l'histoire de la peine de mort en France et de son abolition - XIème

 

Cinq dalles de granit scellées dans la chaussée, derniers vestiges visibles de la guillotine, se remarquent à peine au croisement de la rue de la Roquette et de la rue Croix Faubin dans le XIème arrondissement. Cet ultime témoignage marque l'emplacement des exécutions capitales qui se déroulent de 1851 à 1899, en face de la prison de la Grande Roquette. Surnommée "l'abbaye des Cinq Pierres" du fait de la présence de ces pavés, elle sera démolie en 1900. Les dalles rectangulaires assuraient la stabilité des cinq pieds de la guillotine, installation mobile entreposée hors exécution au 60 rue de la Folie-Régnault.

À la disparition de la prison de la Grande Roquette, les dalles font l'objet d'une tractation inaboutie. L'ancien directeur de l'établissement pénitentiaire cherche à les vendre au Musée Carnavalet et les fait extraire du sol. L'institution refuse la proposition. Les blocs de granit retrouvent plus ou moins leur emplacement originel. Le dessin en croix devient croix de Saint-André. Les dalles nous sont parvenues ainsi.


Prison de la Petite Roquette à la fin du XIXème siècle


Prison de la Grande Roquette fin du XIXème siècle


Guillotine devant la prison de la Grande Roquette


Joseph Ignace Guillotin (1738-184), député et secrétaire de l'assemblée nationale constituante, présente, le 1er décembre 1789, un projet de réforme du droit pénal. Le premier article stipule que "les délits de même genre seront punis par les mêmes genres de peines, quels que soient le rang et l'état du coupable". Il y est fait mention que "la décapitation fût le seul supplice adopté et qu'on cherchât une machine qui pût être substituée à la main du bourreau". 

Joseph Guillotin soutient l'utilisation d’un appareil mécanique adapté à l’exécution de la peine capitale par décapitation. L'instrument est mis au point par le docteur Antoine Louis (1723-1792) médecin légiste, désignée sous le surnom de "la louisette" ou "la louison". Il fait appel à Tobias Schmidt, mécanicien originaire de Kloppenheim en Allemagne, pour réaliser le premier exemplaire. Installé à Paris depuis 1785, il exerce alors la profession de facteur de pianos et de clavecins, dans son atelier de la Cour du Commerce Saint André.

Lors de son allocution, Joseph Guillotin prononce une phrase restée célèbre : "Avec ma machine, je vous fais sauter la tête en un clin d’œil, et vous ne souffrez point. La mécanique tombe comme la foudre, la tête vole, le sang jaillit, l'homme n'est plus." L’expression restée dans les mémoires, "un souffle frais sur la nuque" n'est pas attestée. La loi prévoie que " tout condamné à la peine de mort aura la tête tranchée". 

La guillotine est utilisée pour la première fois à l'occasion de l'exécution de Nicolas Jacques Pelletier, le 25 avril 1792, place de Grève, l'actuelle place de l'Hôtel de Ville. Le 21 août 1792, "la Veuve" rejoint la place du Carrousel en face du palais des Tuileries où siège le gouvernement révolutionnaire. Le 21 janvier 1793, la guillotine est dressée place de la Révolution, actuelle place de la Concorde, pour l'exécution de Louis XVI, condamné à mort par les députés de la Convention nationale à l'issue de son procès tenu entre le 10 décembre et le 26 décembre 1792.

La guillotine, machine itinérante, oeuvre par la suite entre les mains du bourreau, place de la Bastille, place du Trône Renversé future place de la Nation et dès 1832 à la Barrière d'Arcueil. À la suite du décret du 29 novembre 1851, les exécutions parisiennes se tiennent à l'entrée des prisons. Le 16 décembre 1851, Joseph Humblot condamné à la peine capitale pour assassinat, est le premier à être guillotiné devant la prison de la Grande Roquette.


Exécution devant la prison de la Grande Roquette


Entrée du square de la Roquette - Portail de l'ancienne prison de la Petite Roquette


La Petite Roquette, au 143 rue de la Roquette, destinée à l'internement des mineurs, est édifiée entre 1826 et 1830 sur les terrains de l'ancien couvent des Hospitalières de la Roquette, fermé à la Révolution en 1789. Elle est démolie en 1974. Aujourd'hui demeure son portail, entrée du square de la Roquette. Inaugurée le 24 décembre 1836, la prison de la Grande Roquette, au 164-168 rue de la Roquette, accueille les condamnés à mort et les condamnés aux travaux forcés en latence avant leur déportation vers le bagne. 

Devant celle-ci, sur la place de la Roquette, de 1851 à 1899, soixante-neuf condamnés à mort sont guillotinés, discrètement aux dernières heures de la nuit. Parmi eux se trouvent les anarchistes Émile Henry et Auguste Vaillant, et une femme infanticide, Marie-Madeleine Pichon. Le dernier condamné, Alfred Peugnez, est décapité à l’aube du 2 février 1899, peu avant la fermeture de la Grande Roquette.

À partir de 1899, les exécutions capitales se déplacent à l'angle de la rue de la Santé et du boulevard Arago, en face de la prison de la Santé. La rue Croix Faubin est percée en 1902 au lendemain de la démolition de la Grande Roquette, sur les parcelles de l'ancien dépôt des condamnés à mort. Les cinq dalles sur lesquelles était dressées la guillotine demeurent les derniers vestiges de l'ensemble. En 1939, les exécutions publiques cessent. Elles se déroulent désormais dans l'enceinte même de l'établissement pénitentiaire.

Roger Bontems et Claude Buffet comparaissent devant la cour d'assise de l'Aube, dans une affaire de prises d'otages tragique, lors d'un procès qui se tient du 26 juin au 29 juin 1972. Bontems, qui n'a pas tué, est défendu par les avocats Robert Badinter et Philippe Lemaire. Les accusés sont condamnés à mort. L'exécution se tient à la prison de la Santé le 28 novembre 1972, dernière à Paris. En France, quatre suivront avant l'abolition de la peine de mort en 1981. La dernière exécution, celle d'Hamida Djandoubi, condamné à la peine capitale pour viol, torture et meurtre, a lieu le 10 septembre 1977 à la prison des Baumettes à Marseille. La guillotine est ensuite remisée au fort d'Ecouen dans le Val d'Oise. 

Philippe Maurice, dernier condamné à mort est sauvé par l'abolition de la peine de mort votée par l'Assemblée nationale le 18 septembre 1981. Le projet présenté par Robert Badinter, Garde des Sceaux et Ministre de la Justice, au nom du gouvernement, est adopté après deux jours de débat. Aboutissement d'un long combat, le Sénat vote le texte, par cent-soixante vois contre cent-vingt-six le 9 octobre 1981

Cinq dalles de la guillotine 
16 rue Croix Faubin / 166 bis rue de la Roquette - Paris 11
Métro Voltaire ligne 9 / Philippe-Auguste ligne 2



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Éditions Hachette
Connaissance du Vieux Paris - Jacques Hillairet - Éditions Rivage
Le guide du promeneur 11è arrondissement - Denis Michel et Dominique Renou - Éditions Parigramme