Paris : Vestiges du Palais des Tuileries, jeu de piste historique à travers la ville



Le Palais des Tuileries, détruit par un incendie volontaire durant l’insurrection de la Commune en 1871, a connu un destin rocambolesque. Sa construction débute en 1564 à l’initiative de Catherine de Médicis qui souhaite s’établir dans une nouvelle résidence parisienne. Elle choisit des terrains occupés par trois fabriques de tuiles, dont la présence est attestée dès 1372. Le lieu-dit des Thuilleries transmettra son nom au palais. L’architecte Philippe Delorme expire avant d’avoir mené à bien le projet. Jean Bullant prend le relais. A l’initiative de Louis XIV, le château est entièrement remanié par Louis Le Vau entre 1659 et 1666. La façade immense se prolonge sur 266 mètres, 328 mètres si les pavillons de Marsan et de Flore sont pris en compte. Tour à tour résidence des souverains et haut lieu de la Convention, plutôt château sous la Monarchie, l’appellation Palais s’impose sous l’Empire. Symbole du pouvoir royal, le Palais des Tuileries connaît de nombreuses avanies à chaque changement de régime. La Commune en 1871 marque sa destruction dans un terrible incendie volontaire qui durant trois jours ravage entièrement l’intérieur. Si les murs épais, les façades résistent au feu, ses ruines vendues aux enchères vont être dispersées à travers toute l’Europe et jusqu’en Amérique du Sud. A Paris, à condition d’être vigilants, quelques fragments éparses se cachent, quasiment incognito, rarement signalés mais toujours émouvants.


Cour Marly du Louvre - Paris 1



Hall sous le Carousel du Louvre - Paris 1






A la mort de son royal époux Henri II en 1559, Catherine de Médicis quitte sa résidence des Tournelles. Le souvenir y est trop douloureux. Elle revend les terrains qui seront bientôt remployés par Henri IV pour aménager la nouvelle place Royale, notre actuelle place des Vosges dont je vous parlais ici. La Reine décide en 1564 de faire édifier un palais sur des terrains hors des murs de l’enceinte Charles V, à proximité d’anciennes fabriques de tuiles, inspirée par l’exemple de François Ier qui y achète en 1519 une demeure pour sa mère Louise de Savoie. La Reine confie la construction du Palais des Tuileries à l'architecte Philibert Delorme (1510-1570) relayé à sa mort par Jean Bullant (1515-1578). Elle souhaite que les jardins soient tracés dans l’esprit de ceux de Florence, quadrillages réguliers de grandes allées, parterres fleuris variés, haies taillées en labyrinthe. Une grotte est aménagée décorée de céramiques et d’émaux de Bernard Palissy dans le goût du XVIème siècle.

L’architecte Philippe Delorme édifie le rez-de-chaussée du pavillon central et les deux ailes basses qui l’encadrent. Les plans des élévations sont publiés dans son traité datant de 1567. Dans le pavillon central, inachevé à son décès, il débute un escalier suspendu sur voûte, considéré comme un chef d’œuvre de la stéréotomie, l'art de la découpe et de l'assemblage des pièces en taille de pierre. Jean Bullant son successeur créé à l’extrémité du sud de l’alignement un grand pavillon, le pavillon Bullant et entame l’édification d’un pavillon symétrique au Nord. Mais les travaux sont arrêtés en 1572. Catherine de Médicis décide, sur les conseils de son astrologue, de se faire ériger une autre résidence sur le site de la Bourse du Commerce. En 1578 Henri III annonce son intention d’achever le palais, projets qu’il n’aura pas le temps de mener.

Henri IV reprend le chantier. Il fait aboutir l’idée de Catherine de Médicis, avec la création d’une longue aile du Bord de l’eau ou Grande Galerie qui longe la Seine qui doit relier le Louvre aux Tuileries. Les travaux suivants, menés de 1608 à 1610, sont attribués à l’architecte Jacques II Androuet du Cerceau. L’extrémité de la galerie, « le gros pavillon de la rivière » dit plus tard à partir de 1669 pavillon de Flore est construit afin d’être relié au pavillon Bullant par une nouvelle aile.  


Jardin des Tuileries - Paris 1



Cour de l'Ecole des Beaux-Arts - Quai Malaquais - Paris 6





Inhabité jusqu’en 1627, le château des Tuileries est dévolu à la nièce de Louis XIII, Mademoiselle de Montpensier dite la Grande Mademoiselle, dont les noces avec le marquis de Lauzun, aux goûts aussi dispendieux qu’excentriques tels que son hôtel particulier de l’île Saint Louis dont je vous parlais ici  firent scandale. Lorsque Mademoiselle de Montpensier est chassée par la régente Anne d’Autriche pour avoir comploté avec les Frondeurs, le château revient à la Couronne. La résidence royale du Palais des Tuileries évolue au gré des souverains. Parmi les transformations intérieures nombreuses, se note la notable construction en 1659 du théâtre dit Salle des machines par Gaspar Vigarini à l’initiative de Mazarin. Cette salle remaniée à de multiples reprises sera transformée en salle d’assemblée pour recevoir la Convention 

A la demande de Louis XIV, Colbert surintendant des Bâtiments du roi charge l’architecte Louis Le Vau (1612-1670) de réinventer le château et d’unifier les façades. De 1659 à 1666, il prolonge l’alignement vers le Nord jusqu’au pavillon de Marsan, afin de créer une symétrie avec le pavillon de Flore et de respecter le rythme aile/pavillon de ses prédécesseurs. Néanmoins, il double l’épaisseur des murs, surélève les bâtiments préexistants et dans le pavillon détruit l’escalier de Philippe Delorme afin d’en créer un nouveau. La façade du grand pavillon est restructurée à la manière du pavillon de l’horloge du Louvre, œuvre de Jacques Le Mercier. Sur chacune des faces, est placé un fronton orné de statues allongées, entourées sur l’attique de statues debout, dont la réalisation est confiée au sculpteur Philippe de Buyster(1595-1688), nommé responsable du décor. En 1664, Le Nôtre redessine le jardin.  

En 1678 Louis XIV quitte Paris pour Versailles. Le château des Tuileries est divisé en logements de fonction pour les personnes exerçant des charges honorifiques et les artistes pensionnés. Au milieu du XVIIIème, à la veille de la Révolution, il montre un état de délabrement inquiétant, vitres cassées, cloisons sauvages endommagent les fresques des salons. De 1789 à 1792, la famille royale y demeure dans des conditions dramatiques. Par la suite la Convention s’y installe et rebaptise le château, Palais National. En 1800 Napoléon Bonaparte, Premier Consul, en fait sa résidence personnelle. Le réaménagement est confié aux architectes Percier et Fontaine. Contraint, le pape Pie VII y séjourne de 1804 à 1805 pour le sacre de l’Empereur.


1857 Jean-Baptiste Fortuné de Fournier (1798-1864).
La Galerie de Diane aux Tuileries,Aquarelle Paris, musée du Louvre

1863 Le Louvre et le Palais des Tuileries 

1865

1870

Incendie du 24 mai 1871. Lithographie de Sabatier 

1871 Incendie 

1871 La grande salle des fêtes. Lithographie de Sabatier 


Restauration, nouvelle révolution, renouveau de la Monarchie, revanche de la République, avènement de l’Empire, le château des Tuileries est régulièrement pillé et massacré à chaque changement de régime. Sous le Second Empire, de 1852 à 1870, il incarne le lieu mondain par excellence. Napoléon III y donne des bals somptueux reflets de sa puissance.

Au lendemain de la défaite française contre la Prusse, l’insurrection de la Commune fait rage. En mai 1871, assiégé par le groupe de Fédérés, le château est pris puis ouvert au public. Le 20 mai débute un feu terrible, orchestré savamment par les communards Jules-Henri-Marius Bergeret, Victor Bénot et Étienne Boudin qui cherchent alors à abattre un symbole monarchique. Trois jours durant le palais brûle, l’intérieur est entièrement détruit mais les murs demeurent.

En 1879, la Troisième République fait procéder au déblaiement des décombres et en 1882, la Chambre des Députés prend la décision de raser les ruines. Cette mesure radicale pourrait être le signal de craintes concernant un potentiel coup d’état monarchiste. En 1883, l’architecte Edmond Guillaume mène la manœuvre. Les vestiges sont dispersés par l’entrepreneur Achille Picard qui s’en porte acquéreur à l’occasion d’une vente aux enchères pour la somme de 33 500 francs le 4 décembre 1882. Il les revend au détail.

La direction du journal le Figaro lui rachète des marbres débités en presse-papier afin de les offrir en souvenir aux abonnés. Le lot le plus important est acquis par le duc Jérôme Pozzo di Borgo (1832-1910) et son fils, le comte Charles (1858-1902). Les pierres démontées et relevées par l'architecte Albert-Franklin Vincent sont mises en caisse, acheminées par voie ferrée jusqu'à Marseille et convoyés par bateau pour Ajaccio. Là, le duc fait reconstruire l’un des pavillons Renaissance du Palais des Tuileries, qui devient le Château de la Punta.


1872


1872

1875

1900


Quarante fragments architecturaux divers sont achetés par Léon Carvalho pour les jardins de la villa Magali à Saint-Raphaël. D’autres rejoignent la Maison d’Emile Raspail à Arcueil, Val de Marne, le Musée Roybet Foulde de Courbevoie, le château de Varax à Marcilly-d'Azergues, Rhône ou encore le château du Fresnoy à Salins en Seine-et-Marne. La grille de la cour du Carrousel orne désormais celle du château de la famille Esterhazy. Des sculptures et des colonnes sont disposées dans les jardins la propriété de Suresnes du couturier Charles Frederick Worth qui fera place à l’hôpital Foch. Les colonnes seront alors transférées à Barentin en Seine Maritime et Victorien Sardou fera l’acquisition d’une colonne pour son parc de Marly.

Des colonnes et fragments de mur du Palais des Tuileries sont envoyés en Allemagne, sur l’île de Schwanenwerder, près de Berlin, à Berlin même, dans le 6ème arrondissement de Steglitz-Zehlendorf, le monument de la rue des Tisserands. En Italie, certains vestiges ornent la villa des Palmiers de Bordighera. Et plus exotique encore, à Quito en Equateur, les balustrades du palais présidentiel situé Plaza Grande dans le quartier colonial appartenaient aux façades des Tuileries.

Les vestiges rachetés par l’Etat français ont été dispersés entre les différents dépôts lapidaires des années 1880, quatre sites principaux dont l’école des Beaux-Arts, le jardin des Tuileries, les jardins du Trocadéro. Aujourd’hui, il reste à Paris quelques lieux parfois incongrus où découvrir les fragments du majestueux palais incendié.

Dans la pénombre du hall sous le Carrousel du Louvre, les belles statues provenant du fronton du palais sont exposées en libre accès. Le Conseil et La Valeur sous les traits de Pallas, statue allongée acquise par l’Etat en 1985, sont toutes deux l’oeuvre de Thibault Poissant (1605-1668). La Sincérité attribuée à Louis Lerambert (1620-1670) et La Religion, de Philippe de Buyster (1595-1688), réservés par l’Etat lors de la démolition du Palais des Tuileries, ont orné le parc du château de Maisons Laffitte de 1912 à 1990. De La Justice, grande figure couchée sur le fronton de Michel De La Perdrix, (connu depuis 1641-Paris 1681), il ne reste que la tête, en pierre de Troussy, qui a fait partie de l’ancienne collection Fossard, avant de rejoindre les fonds publics en 1977.


Jardins du Trocadéro - Paris 16



Square Georges Cain - Paris 3





Square Georges Cain après nettoyage des vestiges début 2020






Dans le Jardin des Tuileries, jusqu’en 1993, le long d’un mur de soutènement de la terrasse du Jeu de Paume, se trouvaient deux arcades de style Renaissance, attribuées aux architectes originelles Philibert Delorme et Jean Bullant. Composées de pierres d’époque retrouvées dans les ruines et conservées et de nouveaux éléments sculptés à l’identique d’après les gravures, ces vestiges victimes de la pollution et des intempéries avaient été démontées afin d’être restaurées. Loin d’être un projet prioritaire, il aura fallu attendre 2011 avant que les arcades soient à nouveau sorties de la réserve lapidaire du jardin pour être reconstituées. L’une a bien été replacée dans le jardin des Tuileries. La seconde attend toujours.

Une troisième arcade ionique de Philibert Delorme appartenant à la façade sur jardin du pavillon central a été récemment rénovée. Celle-ci remontée en 1883 dans la cour de l’hôtel de Fleury, ancien siège de l’École des ponts et chaussées au 28 rue des Saint Pères, trop abîmée pour être exposée en extérieur a été installée en 2011 dans la cour Marly du Louvre. Depuis le quai Malaquais, une cour de l’Ecole des Beaux-Arts révèle deux anciennes colonnes entières adossées au bâtiment et un tronçon abondamment orné, appartenant à l’ancien Palais des Tuileries. Dans les jardins du Trocadéro, envahies de végétation et peu mises en valeur, deux arches l’une Hôtel de Ville l’autre du palais des Tuileries sont entourées de barrières n’augurant rien de bon quant à leur état.

Dans le square Georges Cain, se trouvent les pièces les plus spectaculaires encore visibles. Ouvert en 1931 sur l’emplacement des jardins de l’hôtel Le Pelletier de Saint Fargeau, cet espace vert de la Ville porte le nom d’un ancien conservateur du musée Carnavalet auquel il a été rattaché en 1989. Devenu dépôt lapidaire du musée, de nombreux vestiges d’anciens hôtels particuliers disparus y séjournent. Le fronton du pavillon de l’horloge du Palais des Tuileries qui ornait en 1901, la porte d’un entrepôt appartenant à l’entrepreneur Achille Picard, y a tout naturellement trouvé sa place. 


9 rue Murillo - Paris 8





Cour de l'Ecole spéciale d'architecture - Paris 14




Des éléments intéressants de l’arc du grand escalier de Percier et de la Fontaine appartenant au pavillon central se trouvent dans la cour privée de l’immeuble du 9 rue Murillo, VIIIème arrondissement. Cette présence incongrue s’explique par le goût personnel de Gustave Clausse (1833-1914), architecte et historien de l’art. Ami d’Edmond Guillaume, architecte en charge de la démolition palais des Tuileries, il a récupéré arcades et chapiteaux afin de les inclure dans le bâtiment rue Murillo dont il est l’auteur et où il demeurait lui-même.

A l’Ecole spéciale d’architecture, deux colonnes longtemps dressées dans la cour n’ont pas supportées les aléas de la vie au grand air. Elles sont désormais entreposées en divers éléments disparates au sol afin d’éviter l’effondrement inéluctable sur les élèves.

D’autres pièces plus fragiles et mieux conservées sont exposées dans les collections permanentes du Musée des arts décoratifs. De nos jours, des associations militent pour la reconstruction du palais à l'identique...

Vestiges du palais des Tuileries 
- Cour Marly du Louvre
- Hall sous le Carrousel du Louvre
- Jardin des Tuileries, en bordure de la terrasse le long de la Seine
- Cour de l’Ecole des Beaux-Arts - visible depuis le quai Malaquais - Paris 6
- Jardins du Trocadéro
- Square Georges Cain - 8 rue Payenne - Paris 3
- Cour de l’immeuble 9 rue Murillo - Paris 8
- Cour de l’Ecole spéciale d’architecture 254-266 boulevard Raspail - Paris 14



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse - Hachette
Le guide du promeneur 1er arrondissement - Philippe Godÿ - Parigramme
Curiosités de Paris - Dominique Lesbros - Parigramme
Paris vestiges - Ruth Fiori - Parigramme