Paris : Cour du Commerce Saint-André, Moyen-âge, Siècle des Lumières, Révolution et Belle Epoque, un concentré d'histoire - VIème



La Cour du Commerce-Saint-André, ensemble pittoresque chargé d'histoire, passage aux pavés disjoints, relie le boulevard Saint-Germain à la rue Saint-André-des-Arts. Le vallonnement improbable de la chaussée, les hardis accidents de nivellement surprennent dans un quartier aux lignes rectilignes repensées par Haussmann.  Boutiques coquettes, bistrot 1900 comme Le Relais de l'Odéon, café historique avec le célébrissime Procope, ce passage qui joue la carte charme des coquettes surannées a connu les gloires littéraires et les histoires sanglantes de la Révolution. Frisson, poésie et point chaud touristique !








Edifiée à partir de 1190 rive droite et de 1200 à 1215 rive gauche, l'enceinte défensive commandée par le roi Philippe Auguste est doublée de fossés. Sous Charles V, un nouveau rempart dont la construction s'achève à la fin du XIVème siècle étend le territoire de la ville. La muraille précédente est progressivement rasée. En 1582, le bureau de la Ville concède une portion de l'ancien fossé aux abords du pavillon de la porte de Bucci à Jean Bergeron, capitaine des archers. Le sieur Bernard prend sa succession au début du XVIIème siècle. Le second segment du fossé revient en 1651 aux frères Leblanc. Ils le font combler afin d'y établir des échoppes variées ainso qu'un jeu de paume. Lieu de commerce aménagé sauvagement, la future cour du Commerce-Saint-André prend les allures d'une venelle indéterminée, boyau sans réelle dénomination. 

Entre 1730 et 1735, le véritable passage est officiellement ouvert, percé en équerre, entre la rue des Fossés Saint Germain, l'actuelle rue de l'Ancienne Comédie, et la rue Saint-André-des-arts. Selon le plan Bernard Antoine juillet 1748 corrigé et augmenté en 1778, il longe un terrain arboré où se trouve le Jeu de boule de Metz qui jouxte des vestiges de l'enceinte Philippe Auguste. Vestiges encore visibles de nos jours sur le côté pair de la cour et notamment au niveau de la boutique du numéro 4 ainsi que côté cour de Rohan.

Sur des terrains acquis auprès du président de Mesnières, François-Jacques Ducellier, avocat au Parlement, futur membre de la Constituante, fait bâtir en 1773 les numéros 17 et 19 qui ne forment qu'un seul immeuble. Vers 1776, le passage est prolongé jusqu'à la rue des Cordeliers (actuelle rue de l'Ecole-de-Médecine). C'est dans cette partie nouvelle du passage que Danton demeure au numéro 20 à partir de 1789 jusqu'à son arrestation en 1794. La famille Ducellier fait ériger les maisons basses attenantes à un hangar qui occupent aujourd'hui le milieu de la cour du Commerce. Vers 1791, un passage est percé à travers les vestiges de l'enceinte Philippe Auguste vers la cour de Rohan.  









A partir de 1792, aux numéros 9 et 19, se trouvent respectivement l'atelier et le hangar de Jean-Tobie Schmidt, facteur de clavecins de profession. Mécanicien et inventeur, il aide le docteur Antoine Louis, secrétaire de l'Académie de Chirurgie, et le député constitutionnel le docteur Joseph Ignace Guillotin à concevoir une nouvelle machine visant à normaliser les décollations aka les exécutions capitales. Louis et Guillotin, peu enclins à assumer tout à fait la paternité de la guillotine, et ce malgré la philanthropie affichée du projet, désignent Schmidt dans leurs rapports d'essai comme ingénieur-concepteur de cette machine. 

La guillotine, la Louison, la Louisette, la Veuve est tout d'abord expérimentée sur des moutons dans le hangar situé au n°19. La Loi du 25 mars 1792 adopte son utilisation. En avril 1792, le mécanicien Schmidt, le charpentier Guidon, l’exécuteur Charles-Henri Sanson, se retrouvent à Bicêtre dans la cour de la prison où les docteurs Louis, Guillotin et Cullerier, médecin-chef de l’hôpital de Bicêtre, ont réservé des cadavres frais pour un ultime test. La première exécution capitale se déroule place de Grève. Nicolas Jacques Pelletiere est exécuté le 25 avril 1792.  

En 1823, la partie nord de la cour débouchant sur la rue Saint-André-des-Arts, est réaménagée en galerie couverte surmontée d'une verrière. Le 28 juillet 1866, un décret annonçant le percement du boulevard Saint-Germain ampute le côté sud de la cour d'une quarantaine de mètres. Elle devient par arrêté en 1877 la cour du Commerce Saint André. En 1880, les travaux du boulevard font disparaître la portion coudée de la cour détruisant l'ancienne maison de Danton. Les éléments les plus marquants du passage, entrées du XIXème siècle, façades, toitures, verrière et sol de la partie nord sont inscrits au titre des Monuments historiques en 1987.











L'arrière de l'un des établissements les plus connus de Paris s'ouvre sur la cour du Commerce Saint-André en une petite terrasse bien proprette. Le Café Procope qui se vante d'être le plus ancien de la Capitale fut un grand lieu de la vie intellectuelle avant de devenir ce bistrot pour touristes.  En 1680, la Comédie Française s'installe au 14 de la rue des Fossés Saint-Germain (actuelle rue de l'Ancienne Comédie). Grégoire, un cafetier arménien originaire d'Ispahan installe un établissement en face au numéro 13. Celui-ci prend rapidement des allures d'annexe du Français, sorte de foyer des artistes où se retrouvent comédiens, critiques et spectateurs.

Francisco Procopio dei Castelli, Sicilien de Palerme arrivé à Paris en 1670, travaille comme garçon dans un café concurrent tenu par un autre arménien du nom de Pascal, rue de Tournon à la foire Saint-Germain. Il francise son nom en François Procope-Couteaux lorsqu'il épouse une française. Le jeune homme a de l'ambition et se met à son compte. En 1686, il rachète à Grégoire son établissement. Le luxueux salon décoré avec élégance ouvre en 1689. A la carte, sorbets, glaces, liqueurs font qu'il devient vite le rendez-vous des gourmets. A partir de 1700, Le Procope est un café littéraire très couru. Voltaire, Rousseau, d'Alembert, Montesquieu qui le mentionne dans les Lettres persanes s'y retrouvent souvent. Diderot y aurait rédigé certains articles de l'Encyclopédie. Selon une plaque commémorative, Benjamin Franklin y conçoit "le projet d’alliance de Louis XVI avec la nouvelle République" tandis qu'il rédige les éléments de la future Constitution des Etats-Unis. 

De café littéraire et philosophique, le Procope devient café politique puis foyer révolutionnaire. Dès 1789, Le club des Jacobins s'y réunit. Mirabeau, Robespierre, Camille Desmoulins sont des habitués. Le club des Cordeliers, à la tête duquel Danton et Marat qui habite au 20 rue des Cordeliers, s'y retrouve également. Cambacérès, Billaud-Varenne, le boucher Legendre, le journaliste Hébert fréquentent aussi Le Procope. L'établissement est véritablement le quartier général des hommes de la Révolution et c'est ici qu'apparaissent les premiers bonnets phrygiens lorsqu'est décidée l'attaque des Tuileries du 10 août 1792.

A la même époque, juste en face, au n°8 de la cour du Commerce Saint-André se trouve l'imprimerie où est édité "L'ami du peuple", le journal de Marat. Guillaume Brune, futur maréchal d'Empire, y est prote, ouvrier imprimeur, jusqu'en août 1792, date à laquelle il s'engage dans l'armée de la République. Tiré à 2500 exemplaires, partagé dans les cafés et lu en public, le journal peut atteindre jusqu'à 30 000 personnes. Fin 1793, la veuve de Jacques Pierre Brissot, chef de file des Girondins, ouvre là un cabinet de lecture fréquenté par les écrivains du quartier.








Au début du XIXème siècle, Le Procope est un lieu de rencontre où se croisent écrivains et intellectuels. Musset, Verlaine, Anatole France, Gambetta y ont leurs habitudes. Fermé une première fois en 1872, il trouve un nouveau souffle entre 1893 et 1900 sous l'impulsion de Théo Bellefonds qui y organise des soirées littéraires. Au premier étage, un petit théâtre joue les premières pièces de Courteline. Puis son étoile pâlit. Il ne retrouvera ses aspirations littéraires qu'à partir de 1954 avec la création du prix de l'humour noir et le prix Procope des Lumières en 2011. 

De 1831 à 1841, Sainte-Beuve, écrivain et critique vit  à l'hôtel de Rouen, dans un meublé situé au niveau de l'actuel numéro 2 de la cour du Commerce Saint André. Dans son deux-pièces du quatrième étage, il reçoit en cachette Adèle Hugo, la femme de Victor Hugo avec qui il entretient une liaison. A cette même adresse le 28 mai 1871, l'écrivain Jules Vallès, célèbre communard poursuivi par les Versaillais, parvient à s'échapper en se portant volontaire pour ramasser les cadavres des Fédérés. Il trouve refuge pendant deux jours auprès de son ancienne logeuse lors de la semaine sanglante de la Commune. Au n°7 cour du Commerce, le cabinet de lecture de Blosse est fréquenté par Honoré de Balzac qui, en 1837, fait figurer ce salon dans "Illusions perdues".

Cour du Commerce Saint-André - Paris 6
Accès 130 boulevard Saint-Germain-des-Prés / 61 rue Saint-André des Arts / 19 rue de l'Ancienne Comédie 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du promeneur 6è arrondissement - Bertrand Dreyfuss - Parigramme
Curiosités de Paris - Dominique Lesbros - Parigramme
Dictionnaire administratif et historique des rues et des monuments de Paris - Félix et Louis Lazare
Enigmes, Légendes et Mystères du Vieux Paris - Patrick Hemmler - Editions Gisserot Patrimoine Culturel 

Sites référents