Lundi Librairie : Admirable, l'histoire de la dernière femme ridée sur Terre - Sophie Fontanel - Rentrée littéraire 2023

 


Depuis quinze ans, Admira, vénérable Anglaise, bon pied, bon œil, vit, retirée sur une île du Péloponnèse, sans téléphone, sans internet, sans télévision. Sa maison se trouve au pied d'une ancienne carrière de kaolin, dans une crique grecque du début des âges. Elle est pleine de livres et de poésie. Existence en quasi autarcie, Admira a néanmoins pour voisins les sept habitants d'un modeste hameau, "huit en comptant le pope". De temps à autre, ils lui donnent des nouvelles du monde. Un jour, sur un chemin où personne ne passe jamais, elle croise un randonneur, presque un intrus. Siméon, pianiste aux traits tendus de jeune homme, est estomaqué, au point d'en faire un malaise, par l'apparition de cette femme. Il est bouleversé par son visage traversé par le temps, vestiges lumineux du monde d'avant. En effet, depuis qu'Admira a pris sa retraite loin de tout, la science a vaincu les signes apparents de l'âge. Et elle serait désormais la dernière femme ridée sur Terre. Les stratagèmes approximatifs pour remonter le temps, chirurgie, injections, cosmétiques et autres joyeusetés, ont été remplacés par le Mondoror. Ce médicament, invention de la biologiste américaine Josée Derrida, vendu à très bas coût et donc accessible à tous, efface les rides définitivement. Il rend l'apparence de la jeunesse en une seule prise. À priori sans effets secondaires. À priori seulement car tous les faux jeunes du monde sont désormais terrorisés par les pentes et la possibilité d'une chute fatale. Hommes et femmes, ils ont tous succombé à la promesse de jeunesse éternelle, tandis que les vrais jeunes expérimentent un véritable malaise face à leurs aïeux aux figures déridées.

Sophie Fontanel emprunte la forme du conte philosophique pour mieux nous parler de la sociologie de l'époque. Dans un futur proche, au coeur de la Grèce, terre des mythes, elle nous invite à suivre Admira, fantaisie heureuse, qui incarne sagesse et joie de vivre. À défaut de trouver un modèle de femme vieillissante auquel se référer dans la vie réelle, Sophie Fontanel l'a inventé. Admira, c'est une énigme, un prénom incongru, une origine mystérieuse, la grâce et la jeunesse d'esprit qui ne s'acquièrent qu'avec l'expérience.

Le refus de l'âge, obsession contemporaine, a conduit à l'invisibilisation des personnes âgées, des femmes en particulier. La vieillesse est désormais taboue. Dans les médias, au cinéma, en couverture des magazines, sur les réseaux sociaux, seuls les visages filtrés, remaniés par la chirurgie, retouchés par Photoshop, ont le droit de cité. Il n'y a pas de modèle de femme ridée. Désormais, il existe deux catégories "les parfaites" et "les pas refaites". Miroir aux alouettes, la vox populi s'extasie quand, malgré les années, certaines ne semblent pas avoir changé. Combler les rides pour combler les béances de l'âme en souffrance, injonctions d'une société en déshérence. Les marchands d'illusion entretiennent la détestation de soi chez leurs clients. La course perdue d'avance au rajeunissement alimente la consommation.

Pourtant, vieillir n'est pas une maladie. Faire disparaître les rides, les plis de la peau revient à effacer les traces de la vie, les événements joyeux ou tristes, les grandes peines, les bonheurs immenses. Ode à la beauté des rides, cartographie de la vie, "Admirable, histoire de la dernière femme ridée sur Terre" évoque le vieillissement comme une révélation, une libération. Cette fable morale, entre utopie et dystopie, mène une réflexion sur la peur de vieillir, frayeur qui fait écho à celle de la mort. Sophie Fontanel fait remarquer à quel point ce serait un grand malheur de mourir en ayant l'apparence de la jeunesse. Entre les lignes, elle distille avec malice, des doses de bienveillance, une certaine philosophie du bonheur. Elle nous invite à embrasser notre propre condition de mortel, notre finitude afin d'apprécier le temps qui nous est donné. Et les marques du temps qui passent. 

Admirable, l'histoire de la dernière femme ridée sur Terre - Sophie Fontanel - Éditions Seghers 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.