Expo Ailleurs : Jadis lorsque mon coeur cassa, une installation sonore immersive de Gurshad Shaheman - Monastère royal de Brou - Bourg-en-Bresse - Prolongation jusqu'au 10 septembre 2023

 

L'artiste franco-iranien Gurshad Shaheman investit le troisième cloître du Monastère royal de Brou jusqu'au 21 juin 2023 avec une installation sonore immersive, "Jadis lorsque mon coeur cassa", conçue spécifiquement pour le lieu. Cette oeuvre intervient dans le cadre des célébrations du centenaire de l'installation du musée des beaux-arts de la ville au sein du monument de Bourg-en-Bresse. A l'occasion de l'anniversaire, des artistes contemporains ont été invités à intervenir au sein des bâtiments, notamment Lionel Sabatté, dont la composition "Tissu" (2021) a été déployée dans le choeur de l'église Saint Nicolas de Tolentin.

Jardin bucolique ponctué de structures métalliques, treilles recouvertes de plantes et rosiers grimpants, "Jadis lorsque mon coeur cassa" de Gurshad Shaheman emprunte son titre au vers du poète belge flamand, Émile Verhaeren (1855-1916), extrait du poème "Chanson de fou". L'impression première de grande quiétude bucolique est contredite par les capsules sonores diffusées au sein de ces ilots. Gurshad Shaheman est allé à la rencontre de personnes enfermées dans des établissements psychiatriques dans le cadre d'un parcours de soin pour recueillir leurs témoignages. Les enregistrements retranscrits sont ici lus, interprétés par des comédiens.

Le principe de déambulation sereine contraste avec la puissance des récits, tourmentés, poignants, dérangeants, fragments d'histoires portés par les voix enfin entendues tandis que les corps demeurent absents. Pensée en relation avec l'histoire de ce lieu patrimonial, l'oeuvre "Jadis lorsque mon coeur cassa" explore la thématique de l'enfermement, celui volontaire des religieux reclus, séminaristes et moniales, ou bien contraints, le monastère ayant été reconverti en prison à la Révolution, puis en asile d'aliénés au XIXème siècle. Gurshad Shaheman s'interroge sur l'isolement des personnes qui suivent un parcours de soins psychiatriques, le carcan physique mais aussi mental, les camisoles chimiques. Il propose changer le regard porté sur les personnes enfermées et ouvre des perspectives alternatives.










Gurshad Shaheman, né en Azerbaïdjan iranien, rejoint le Nord de la France avec sa famille, à l'âge de douze ans. Sa professeure de français l'initie au théâtre afin de vaincre une certaine timidité et d'apprivoiser cette nouvelle langue. Sur les traces de son père, ingénieur des Ponts et chaussées, il s'inscrit en classe préparatoire scientifique, Maths Sup. La rencontre lors d'un festival avec un comédien metteur en scène le révèle à lui-même. Gurshad Shaheman intègre alors le Conservatoire de Toulon tout en poursuivant un cursus de Lettres à l'Université. Puis il rejoint l'Erac, école régionale d'acteurs de Cannes et Marseille. Il travaille en collaboration avec le metteur en scène Thierry Bédaud et l'écrivain, poète, critique iranien Reza Bahareni (1935-2022). 

A l'étroit dans ce parcours jusqu'alors très institutionnel, Gurshad Shaheman se lance dans l'écriture de ses propres spectacles en 2012 avec "Touch me", premier volet du triptyque "Pourama Pourama" inspirés par les récits d'exil portés par sa propre famille. Il se pose en observateur du monde, question du vivre ensemble, des droits LGBTQ, de l'intégration. Au contact de réfugiés migrants en Grèce, au Liban, de jeunes homosexuels en rupture, il accompagne ces témoins dans l'écriture de leurs propres textes, dans l'élaboration d'un projet commun pour dire les expériences qui façonnent les êtres, les interactions qui les modèlent. Directeur de la compagnie La ligne d'ombre, nom hommage au roman de Joseph Conrad, enseignant au sein de l'annexe belge du cours Florent, Gurshad Shaheman vit et travaille à Bruxelles depuis sept ans. 









La vie et la réalité, matériaux d'une oeuvre engagée, nourrissent un propos profondément humaniste qui se rapproche du travail documentaire. En allant à la rencontre des gens, Gurshad Shaheman propose d'accéder à une forme renouvelée de compréhension des mémoire individuelle et collective. Artisan, il façonne des propositions scéniques à partir des témoignages de personnes que la société des hommes n'écoute plus. Les récits hantés, d'exil, de réparation, de renaissance s'inscrivent dans une démarche de la parole retravaillée, héritage du récit intime. Gurshad Shaheman fait volontiers référence à Marcel Proust, Hervé Guibert, Annie Ernaux, Jean-Luc Lagarce. Il nous invite à prendre conscience de certains enjeux sociétaux et d'interroger les normes.

Promenade d'un ilot sonore à l'autre, d'un récit à l'autre, "Jadis lorsque mon coeur cassa" agit comme un itinéraire alternatif des cartographies intimes, celles des résidents, des patients en soin psychiatrique. Gurshad Shaheman s'est tout d'abord rendu dans des centres institutionnels, notamment l'hôpital public du Prémonté dans l'Aisne. Puis, il s'est tourné vers d'autres types de cellules thérapeutiques comme le 3 bis f Centre d'arts contemporains qui accueille des artistes en résidence de création dans les murs de l'hôpital psychiatrique Montperrin à Aix-en-Provence. 








De la récolte de la parole à l'écrit puis à l'interprétation par des comédiens professionnels, du silence vers la circulation de la parole, la trajectoire de l'oeuvre fait entendre et permet d'écouter ceux que la société repousse à la marge, invisibilise. Gurshad Shaheman entretient un rapport de conteur au récit. Il embrasse la force des mots, celle des lacunes, nous invite à se laisser submerger par la violence des émotions. Par son travail, il documente les vies d'errance, les revers du destin, les épisodes traumatiques et célèbre la résilience possible. 

Jadis lorsque mon coeur cassa - Gurshad Shaheman
Jusqu'au 21 juin 2023 - Prolongation jusqu'au 10 septembre 2023

Équipe artistique
Dramaturgie Youness Anzane
Création sonore Lucien Gaudion
Scénographie Mathieu Lorry Dupuy
Création lumière Kévin Briard
Collaboration artistique Shady Nafar
Coproduction Directrice de production Julie Kretzschmar

Partenaires
Projet soutenu par Mondes nouveaux, programme de soutien à la conception et à la réalisation de projets artistiques initié par le gouvernement dans le cadre du volet Culture de France Relance.

63 boulevard de Brou - 01000 Bourg-en-Bresse
Tél : 04 74 22 83 83
Horaires : Du 1er octobre au 31 mars de 9h à 12h et 14h à 17h - Du 1er avril au 30 juin de 9h à 12h30 et de 14h à 18h - Du 1er juin au 30 septembre de 9h à 18h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Chanson de fou (1920) - Emile Verhaeren
   
Brisez-leur pattes et vertèbres,
Chassez les rats, les rats.
Et puis versez du froment noir,
Le soir,
Dans les ténèbres.
 
Jadis, lorsque mon cœur cassa,
Une femme le ramassa
Pour le donner aux rats.
 
— Brisez-leur pattes et vertèbres.
 
Souvent je les ai vus dans l’âtre,
Taches d’encre parmi le plâtre,
Qui grignotaient ma mort.
 
— Brisez-leur pattes et vertèbres.
 
L’un d’eux, je l’ai senti
Grimper sur moi la nuit,
Et mordre encor le fond du trou
Que fit, dans ma poitrine,
L’arrachement de mon cœur fou.
 
— Brisez-leur pattes et vertèbres.
 
Ma tête à moi les vents y passent,
Les vents qui passent sous la porte,
Et les rats noirs de haut en bas
Peuplent ma tête morte.
 
— Brisez-leur pattes et vertèbres.
 
Car personne ne sait plus rien.
Et qu’importent le mal, le bien,
Les rats, les rats sont là, par tas,
Dites, verserez-vous, ce soir,
Le froment noir,
À pleines mains, dans les ténèbres ?