Expo : Ken Domon, le maître du réalisme japonais - Maison de la Culture du Japon à Paris - Jusqu'au 13 juillet 2023

 

La Maison de la Culture du Japon à Paris consacre une exposition rétrospective au photographe Ken Domon (1909-1990), pionnier du réalisme à l'instar de Cartier-Bresson ou Eugene Smith. Portraitiste, paysagiste, observateur des vies urbaines, il porte un regard singulier sur son pays le Japon, son peuple, sa culture. Son travail témoigne de la réalité sociale au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Ken Domon saisit en images la société japonaise en pleine mutation, les bouleversements, l'espoir et la désillusion, et invente ce faisant une esthétique photographique contemporaine. L'évènement qui se tient à la MCJP aborde les différentes facettes de sa pratique nourrie d'une philosophie humaniste, théorisée dans de nombreux écrits publiés au Japon, quasiment jamais traduits à l'étranger.

Célébré dans son pays, seul photographe auquel est consacré un musée, moins connu en Occident que ses héritiers revendiqués, Daidô Mariyama ou Hiroshi Sugimoto, Ken Domon accède tardivement à la reconnaissance internationale. L'Europe redécouvre son travail en 2017 lors d'une première rétrospective à Rome dont l'exposition parisienne "Ken Domon, le maître du réalisme japonais", est le pendant condensé. La commissaire des deux expositions Rossella Menegazzo, professeure d’histoire de l’art de l’Asie Orientale à l’Université de Milan, avec le soutien du Ken Domon Museum of Photography, MondoMostre, a réuni une centaine de clichés en noir et blanc, du début des années 1930 jusqu'en 1976. L'évènement vient puissamment souligner l'influence du photographe sur les artistes japonais et les échos de son oeuvre dans la culture contemporaine. 








Première exposition monographique dédiée au photographe japonais en France, "Ken Domon, le maître du réalisme japonais" éclaire sous un angle synthétique la trajectoire de celui qui était surnommé "le diable de la photographie". Réalisme radical pour l'époque, ses clichés de rue montrent les difficultés du quotidien au lendemain de la guerre, l'occupation américaine, la pauvreté des populations civiles, les traumas d'Hiroshima. Plus apaisés, ses portraits mettent en scène les célébrités du monde des arts, peintres, acteurs, cinéastes, hommes de lettres, politiciens. La dernière étape du parcours scénographique vient illustrer un tropisme particulier pour le patrimoine traditionnel, importante série, la seule en couleur, qui capture la beauté tranquille des anciens temples bouddhistes. Un Japonais raconte le Japon aux Japonais. 

Né en 1909, Ken Domon débute des études de droit à l'université Nihon de Tokyo interrompues par un renvoi suscité par ses activités politiques au sein de la contestation paysanne. Peintre, il se tourne vers la photographie en 1933 et intègre le studio de Kotaro Miyauchi en tant qu'assistant. Photojournaliste pour l'agence Nippon-Kobo dans le cadre du magazine "Nippon" dès 1935, ses opinions politiques lui valent une surveillance policière et quelques inquiétudes. A la fin des années 1930, il est approché par Kokusai Bunka Shinkōkai, organisation nationale de propagande du Japon impérial. De nombreux photographes sont enjoints à participer de l'effort de guerre dès 1939, par des reportage exaltant le patriotisme de l'armée impériale. Les images de propagande, compositions strictement codifiées, glorifient le courage, la force des soldats et des infirmières.

Dans les années 1950, portées par des idées humanistes, Ken Domon photographie la réalité sociale du Japon. Au plus proche des anonymes, il saisit le quotidien dans l'arrondissement de de Kōtō à Tokyo, à Sendai ou encore à Kyoto. Il initie des liens avec ses modèles, les passants, les enfants qui jouent dans la rue, par l'intime accède à l'universel. Certaines images de l'après-guerre, de l'occupation américaine, sont des clins d'oeil directs à l'esthétique développée par Henri Cartier-Bresson (1908-2004). Dans un rejet des affèteries, des artifices, pente naturaliste, principe de réalisme, il cherche à capturer « un instantané absolu qui n'est absolument pas dramatique ». 








Ken Domon documente les transitions vécues au sein d'un territoire, le Japon impérial défait, d'une époque, au lendemain du conflit mondial. Les écrits philosophiques de Tetsurō Watsuji au sujet de l’éthique, la société et les arts au Japon influencent particulièrement son approche. Il s'intéresse notamment à la notion de "milieu" liée à une région ou un pays, milieu déterminant les spécificités culturelles de chaque civilisation. 

Ken Domon, frappé par un drame, le décès de sa seconde fille en 1946, conserve tout au long de sa carrière un attachement particulier à la représentation des enfants. Leur candeur, leur innocence et la joie de leurs jeux contrastent avec un climat social difficile. Le reportage "Les Enfants de Chikuhô ", publié en 1960, montre la misère dans les anciens villages miniers du Sud du pays. 








A l'automne 1957, Ken Domon réalise la série "Hiroshima", 7800 clichés d'une rare intensité. Il photographie les survivants de la bombe atomique, révèle le trauma physique et psychologique, les conséquences douze ans après l'horreur du 6 août 1945, date à laquelle 140 000 personnes décèdent. Cette suite d'images considérée par le prix Nobel Kenzaburô Ôe comme "la première œuvre d'art contemporain inspirée par la bombe atomique qui traite des vivants et non des morts" rend compte de la réalité de l'utilisation de l'arme atomique en temps de guerre, la dimension humaine, les corps détruits des survivants, les larmes, le choc psychologique. 

En 1958, Ken Domon reçoit le prix Mainichi de photographie et celui du photographe de l'année de l'Association des critiques du Japon. L'année suivant, il est distingué par le prix des arts décerné par le ministère de l’Éducation puis en 1960 par le prix du Congrès des journalistes du Japon. 








L'avant-dernière section de l'exposition "Ken Domon, le maître du réalisme japonais" s'attache aux séries de portraits d'artistes, de célébrités japonaises. En 1936, Ken Domon réalise son premier portrait de l'écrivain Rintarô Takeda. 

En 1953, le photographie publie un recueil sous le sobre titre de "Portraits" qui réunit quatre-vingt-cinq portraits, amis, connaissances, personnalités des arts et des lettres, de la politique. Au fil de la compilation, les écrivains Mishima, Kawabata, Tanizaki, côtoient les acteurs et réalisateurs Mifune, Ozu, les peintres Foujita, Umehara, Okamoto.  








En 1960 et en 1968, Ken Domon est victime d'accidents vasculaires cérébraux qui l'atteignent physiquement. Dès lors, il adapte sa pratique photographique au fauteuil roulant, imagine d'autres protocoles, d'autres points de vue. Malgré les contraintes nouvelles, il poursuit ses voyages à travers le Japon, les temples bouddhistes. La série "Koji junrei", "Pèlerinage aux temples anciens" cinq volumes publiés entre 1963 et 1975, 462 images en couleurs et 325 en noir et blanc, célèbrent la culture traditionnelle du Japon, les sanctuaires, l'architecture et la sculpture sacrée, les jardins. Les photographies de Ken Domon en soulignent la beauté, l'harmonie et les spécificités. Cette suite illustre en contrepoint les progrès technologiques de la photographie avec l'apparition de la couleur.

En 1976, Domon subit une troisième attaque qui le contraint à une hospitalisation prolongée. Il meurt à Tokyo le 15 septembre 1990. En 1981, le groupe Mainichi Newspapers qui publie le quotidien à grand tirage Mainichi shinbun fonde le prix Ken Domon à l'occasion de la célébration du cent-dixième anniversaire du journal. Le musée photographique Ken Domon à Sakata est inauguré en 1983 à Sakata sa ville natale, dans le Nord du Japon.

Ken Domon, le maître du réalisme japonais
Jusqu'au 13 juillet 2023

Maison de la culture du Japon à Paris 
101 bis quai Jacques Chirac - Paris 15
Tél : 01 44 37 95 01
Horaires : Du mardi au samedi de 11h à 19h - Nocturne les jeudis de 11h-21h pendant les expositions - Fermé les dimanches, lundis et jours fériés



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.