Théâtre : Marée haute, d'après Benoîte Groult - Adaptation et interprétation Josiane Pinson - Le Lucernaire - Jusqu'au 7 mai 2023

 

George, soixante-huit ans, se remémore la grande passion charnelle qui l'a occupée durant près de trente ans. Elle a dix-huit quand elle rencontre Gauvain. L'étudiante en histoire et lettres classiques, le marin-pêcheur, habités par le désir, sont issus de deux mondes inconciliables. Mystère des attractions, ils se charment et chavirent. L'histoire improbable débutent par le trouble des premiers rendez-vous. Puis ils deviennent amants. Ils n'auraient pas dû se croiser, s'attirer. Ils succombent au désir, au plaisir comme une évidence. Les peaux se reconnaissent. Pourtant, ils ne feront jamais couple. Leur relation se cantonne à la jubilation des corps. George et Gauvain mènent leur vie, leur carrière, se marient chacun de leur côté. L'élégante Parisienne devenue universitaire et le Breton rugueux qui passe sa vie sur des chalutiers en mer d'Irlande, la bourgeoise et le prolo, se quittent pour mieux se retrouver, au bout du monde.Les amants s'accordent des rendez-vous lointains, Dakar, la Floride, retrouvailles épisodiques, autant d'embardées poétiques et sensuelles hors de leurs existences toutes tracées. Adultère joyeux, manque de regrets assumés. Leur liaison intermittente demeure cette relation déraisonnable, succession de brèves rencontres, poignée de jours arrachés au quotidien. George et Gauvain cueillent l'instant présent dans cette passion inaltérable malgré les corps qui vieillissent, les abandons, les ruptures, les doutes. 

Josiane Pinson adapte pour la scène et interprète le roman de Benoîte Groult, "Les vaisseaux du coeur" publié en 1988. Cet ouvrage s'inspire librement de la propre histoire de passion et de désir vécue par la journaliste, écrivaine, figure importante du féminisme. "Marée haute" trace en creux un portrait de femme émancipée, drôle, éprise de liberté. Avec douceur, malice et conviction, Josiane Pinson nourrit par sa belle présence, sa voix timbrée, la force du texte. Elle incarne ce ton si particulier pour dire les
les amours impossibles, l'attraction irrépressible des corps qui dépasse les convenances, balaie les différences sociales et culturelles.




Seule en scène, la comédienne évoque le mystère du plaisir, de l'alchimie des peaux, l'embrasement des sens mais aussi la complicité, la tendresse, la sensualité. La sobre scénographie imaginée par Jean-Michel Adam fait la part belle au texte organique, vivant. Les mots donnent corps aux lieux, aux paysages, aux étreintes. Au fil des ans, naissent d'inévitables questionnements. Une relation peut-elle ne reposer que sur la passion physique ? Histoire de désir, de frustration, de jouissance, la tendresse cède parfois à l'exaspération, tandis que les failles viennent troubler les rendez-vous érotiques.

Introspections sensibles d'une femme nostalgique, le récit audacieux pose des mots crus, exemptes de vulgarité, sur le désir et le plaisir. Il convoque les sens et ouvre le champ des interrogations au sujet du couple, du fantasme, de l'attente, de la passion, des fulgurances sensuelles. George et Gauvain vivent un amour préservé des vicissitudes quotidiennes, des entraves conjugales. Leurs choix déraisonnables reflètent une liberté totale. Le désir intact perdure malgré le temps qui passe - moments poignants au sujet de la vieillesse -, l'éloignement, les liens noués avec d'autres. Un très beau moment de théâtre.

Marée haute, d’après Les vaisseaux du cœur de Benoît Groult
Jusqu’au 7 mai 2023
Du mardi au samedi à 21h, dimanche 17h30

Adaptation et interprétation Josiane Pinson
Mise en scène Panchika Velez assistée de Mia Koumpan
Scénographie de Jean-Michel Adam
Création sonore de Stéphane Corbin
Création lumière de Florent Barnaud
Voix de Didier Brice

Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs - Paris 6
Tél : 01 45 44 57 34



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.