Lundi Librairie : La famille de Pantin - Michèle Fitoussi

 

Chaque année, à l'occasion des fêtes, Michèle Fitoussi se rend en famille au cimetière de Pantin, pour visiter les disparus. Ce périple réunit dans un moment haut en couleurs de communion et de tradition, toute la tribu étendue, les oncles, les tantes, les cousins. Juifs séfarades, ils ont quitté Tunis dans les années 1950-60, un exil difficile pour les plus âgés. La grand-mère ne s'est jamais tout à fait remise de ce déracinement, rêvant jusqu'à la fin de ses rives africaines. En France, sans argent, cette première génération a su trouver les moyens d'offrir des conditions de vie décentes à leurs enfants, leur donner toutes les chances en surinvestissant le champs professionnel. La réussite leur permet alors de se reconstruire. 

Editorialiste et grand reporter au magazine "Elle", Michèle Fitoussi associe dans un même geste littéraire la matière autobiographique, la légende familiale et la grande Histoire.  Le destin de ses propres ancêtres évoque celui de tout un peuple. Elle remonte l'arbre généalogique de sa famille pour mieux s'interroger sur l'identité, questionner ce que signifie "être Juif" aujourd'hui. Sa réflexion se nourrit à la fois d'une introspection personnelle et d'un travail de recherche considérable. 

Michèle Fitoussi se penche sur ces destins contrariés, initie un voyage à la rencontre de ses origines. Elle associe l'intime, le parcours des siens, les trajectoires personnelles et l'Histoire en retraçant l'itinéraire des Juifs en Tunisie, présents dès l'Antiquité, avant les Phéniciens, avant même les Romains ou les Ottomans, pourtant minorité en terre d'Islam. Sur la trace de ses ancêtres, elle traverse la Méditerranée pour tenter de découvrir à Tunis comment ils vivaient.

Les imaginaires, les traditions séculaires, la nourriture, l'autrice dit la transmission, l'attachement à la mémoire, la mélancolie de la perte. Les Séfarades revendiquent une même joie de vivre, principe fondateur à opposer aux aléas du destin, à l'angoisse juive millénaire. Michèle Fitoussi raconte l'accent des descendants de la diaspora juive d'Orient, celui qui lui faisait prononcer "fronçais" dans ses primes années, perdu depuis. Elle évoque avec sensibilité ces caractéristiques communes, impulsivité et émotivité exacerbée, générosité et expressivité. Entre les lignes, Michèle Fitoussi se révèle. Avec autodérision, elle se décrit comme le prototype de la mère tunisienne angoissée, théâtrale toujours prête à dramatiser, surprotectrice avec ses enfants. Le lecteur la perçoit comme expansive et chaleureuse bien loin de l'image d'intellectuelle froide. Riche de ses origines plurielles, de la mémoire des siens, de sa culture française et de ses origines tunisiennes, de sa judéité et de sa laïcité, elle porte en elle l'Orient et l'Occident. 

Le travail de documentation, d'exploration des archives s'est doublé d'une démarche humaine, ancrée dans la réalité quotidienne. Michèle Fitoussi est allée à la rencontre des personnes âgées, de ceux qui restent et conservent le souvenir. L'écrivaine fait place à la journaliste pour constater l'absence. Avec ces personnes, elle évoque la mémoire des communautés soeurs, la nature des relations entre les Juifs et les Musulmans, les rapprochements, le dialogue et la méfiance aussi. Il y a un sentiment de désarroi à constater la disparition des vestiges du passé. Michèle Fitoussi capture les dernières traces, dépasse la nostalgie qui cristallise le souvenir. Elle constate la résilience des Juifs tunisiens face à l'exil, l'arrachement, le déracinement.

Dans les détails poignants qui touchent à l'intime, et les éléments plus vastes, informations concrètes de l'Histoire, elle pose des mots sur cette nostalgie des lieux et des époques qu'elle n'a pas connus. 

La famille de Pantin - Michèle Fitoussi - Editions Stock



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.