Lundi Librairie : Le talisman - Mathieu Terence



Altière, fantasque, aussi irritante que séduisante, Farrah a nimbé sa vie de mystères pour faire écran à la réalité. Elle meurt brûlée vive dans l’incendie de son appartement. Le narrateur, qui fut son ami, son amant aussi, se rend compte lors des obsèques qu’il ne savait rien d’elle. Farrah ne s’est jamais révélée préférant mentir, inventer, travestir la vérité. Il se souvient de leur rencontre à Biarritz, été basque rythmé par les journées oisives sous le soleil, la fête, les nuits sans fin, les rencontres sans lendemain. Il passe ses journées à lire et écrire en terrasse d’un bar de plage d’Ilbarritz où Farrah est serveuse. Beauté frappante, nonchalance de reine, pieds nus, la mythomane flamboyante bouscule le quotidien de celui qui se rêve écrivain. Ils se croisent, se frôlent, se rapprochent physiquement. Farrah, sauvage, fascine et sème la confusion. Mais derrière ses allures de créature fantasmagorique, les fragilités psychologiques témoignent d’un passé douloureux. Devenue commerciale dans une agence immobilière, Farrah aide le narrateur, lui prête des appartements entre deux locations. Pourtant, elle peine à trouver une stabilité. Une semaine sur deux, l’absence de son enfant dont elle a la garde alternée, Farrah se consume dans la drogue et l’alcool, spirale autodestructrice, dérive mortifère. Le narrateur se remémore son propre parcours, son cursus en psychologie à l’université, sa pratique dans des institutions, structures psychiatriques où il soigne des jeunes femmes anorexiques. Et puis il y a la voie de l’écriture, et tous les sacrifices pour s’y consacrer.

Chapitres ramassés, écriture ciselée, musicalité de la langue, Mathieu Terence invente ses propres codes littéraires pour nourrir une conception très personnelle de la poésie, lyrisme délicat mâtiné de philosophie. Dans cette mosaïque autofictionnelle, il multiplie les points de vue. Le choix de la deuxième personne du singulier, « tu », vient souligner ce principe d’écriture. Les souvenirs du narrateur, réminiscences vives, dérivent vers des questionnements plus vastes, une forme de quête existentielle. L’auteur croise les matériaux, éléments autobiographiques et fiction, sensations et réflexions. Au spleen prégnant, le désenchantement distinctif, il associe les motifs récurrents de son oeuvre, ses obsessions. 

Il livre des portraits de femmes aimées, complexes, frappées d’empêchement par des failles vertigineuses. Le narrateur se diagnostique un syndrome du Saint-Bernard. Il ne porte un intérêt particulier qu’aux femmes malmenées par la vie, celles qu’il pourra essayer de sauver. Les fragilités psychologiques de Farrah, étoile filante, insaisissable, son déséquilibre, son inclinaison pour la fuite en avant, sa personnalité borderline, le troublent, le séduisent plus qu’il ne voudrait bien se l’avouer.

Avec sensibilité, Mathieu Terence traduit l’esprit du temps, en capture l’essence par l’accumulation de détails signifiants, glaneur de trésors, de traces de civilisation. De l’anecdote personnelle, il élargit le champ de réflexion, soubresauts de la vie, à une analyse plus sociétale. Depuis un article lu dans le journal au sujet la tectonique des plaques et le surgissement d’une île, il dérive vers une méditation poétique à propos de la création des mondes, l’évolution de la planète, la succession des règnes, la fin annoncée de l’anthropocène, l’avenir de l’humanité. Il suffit de se laisser porter par cette vague paisible, mélopée sensible.

Le talisman - Mathieu Terence - Editions Grasset



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.