Théâtre : Tom na Fazenda, de Michel Marc Bouchard - MES Rodrigo Portella - Avec Armando Babaioff, Gustavo Rodrigues - Théâtre Paris Villette - Jusqu'au 1er avril 2023

 


Dévasté par la mort accidentelle de son compagnon, Tom, graphiste dans la publicité, se rend sans avoir été invité aux obsèques organisées par la famille du défunt. Au fin fond d’une campagne reculée, il découvre la ferme où a grandi celui qu’il aimait. Etranger à ce monde fermé, très codifié, archaïque, il fait la connaissance d’Agata, la mère en plein déni, qui fait mine de rien savoir de l’homosexualité de son cadet disparu. Elle n’a pas la moindre idée de qui Tom est et attend en vain une certaine Sarah, la fiancée imaginaire de son fils. Le frère, Francis éleveur bovin, frustre homophobe ne cache pas son animosité envers Tom. Il connaît la vérité mais ne l’a jamais accepté. Il lui impose le silence sur la réalité des liens qu’il entretenait avec le mort. Tom pris dans les mailles des mensonges, des humiliations, noue une relation ambiguë avec ce frère pervers. Malgré les sévices psychologiques et physiques subis, il s’installe à la ferme. Sous l’effet de la sidération, du chagrin lié au deuil, il se laisse piéger, ne parvient plus à se défaire de cette emprise mortifère. Contagion insidieuse de la haine et de la folie, Tom se soumet à la violence de Francis.

La pièce du dramaturge québécois Michel Marc Bouchard, montée pour la première fois en 2009 au Canada, adaptée au cinéma en 2013 par Xavier Dolan, a été traduite dans sa version lusophone par Armando Babaioff, également interprète du rôle-titre. Créée au Brésil et présentée à Rio de Janeiro en 2017 dans une mise en scène de mise en scène de Rodrigo Portella, « Tom na Fazenda » y trouve un écho particulier. Le pays détient alors le triste record du plus grand nombre de meurtres homophobes tandis que l’ancien président Jair Bolsonaro s’affirme ouvertement homophobe. 

Ce drame psychologique sans concession décrypte une réalité sociale, plongée vertigineuse dans les méandres de la haine de l’autre, du rejet de l’altérité. Pièce tripale, vénéneuse, « Tom à la ferme » est oeuvre politique de résistance contre l’homophobie. Le récit rend compte de l’âpreté d’un monde rural isolé, lieu dépourvu d’humanité régi par des normes, par la violence archaïque de l’incommunicabilité. La confrontation de deux univers s’incarne dans la rencontre de Tom le citadin raffiné et Francis le paysan rugueux. La ferme représente ce trou noir où se perdent les âmes, nébuleuse propice au dérèglement des sens qui embrase la sauvagerie  

La mise en scène minimaliste de Rodrigo Portella donne chair aux atmosphères poisseuses de cette pièce viscérale, spectacle physique où les corps parlent presque plus que les dialogues. Recouvert d’une vaste bâche chargée d’argile, le plateau se transforme au fil de la pièce et des seaux d’eau déversés en marécage, en bourbier. Dans un clair-obscur caravagesque de Tomás Ribas, scénographie dépouillée signée Aurora dos Campos, les personnages s’engluent littéralement dans la crasse, la laideur. La boue dégouline des corps des comédiens, recouvre les visages.  Leur engagement physique vient traduire des émotions épidermiques dans l’incandescence des corps à corps, huis clos sensuel et fiévreux.

L’énergie des interprètes, incarnation magistrale, confère force et conviction au propose. Armando Babaioff dans le rôle de Tom mue d’une douce vulnérabilité, ponctuée de sarcasmes vers quelque chose de plus sombre, de plus animal. Il devient la victime expiatoire d’une homophobie intériorisée et se laisse peu à peu submerger par la rage. Haine de l’autre, haine de soi, il s’enlise dans les rapports sado-maso de soumission et de domination. Francis, brute perverse, cherche un exutoire à la violence des pulsions refoulées, est incarné avec force par un Gustavo Rodrigues, ambivalent et fascinant. Soraya Ravenle, Agata la mère, et Camila Nhary, Helen l’amie de Tom, sont au diapason d’une performance organique, magnétique. 

La montée en puissance de l’angoisse dans un mouvement de balancier entre attraction et répulsion, fait alterner les moments d’effroi pur et de confusion. Ballet de désir et de mort, chorégraphie entre Eros et Thanatos, entre la brutalité et la sensualité, les contradictions, l’intensité des sentiments, le chagrin du deuil, la colère, la haine, entraînent un déchaînement inouï de violence, une résolution inéluctable. Récit bouleversant, un grand moment de théâtre.

Tom na Fazenda 
Jusqu’au 1er avril 2023
Mardi, mercredi, jeudi, samedi à 20h - Le vendredi à 19h - Matinée dimanche à 15h30

En portugais brésilien surtitré en français

Texte de Michel Marc Bouchard
Traduction en portugais d’Armando Babaioff
Mise en scène de Rodrigo Portella
Avec Armando Babaioff, Soraya Ravenle, Gustavo Rodrigues, Camila Nhary
Scénographie Aurora dos Campos
Lumières Tomás Ribas
Costumes Bruno Perlatto
Musique Marcello H.
Chorégraphie Toni Rodrigues

Théâtre Paris Villette
211 Avenue Jean Jaurès - Paris 19
Tél : 01 40 03 74 20




Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.