Paris : Rue Chanoinesse, les charmes historiques de l'ancien Cloître Notre-Dame, le frisson d'une vieille légende urbaine, sinistre affaire du barbier sanguinaire et du pâtissier cannibale - IVème

 

La rue Chanoinesse a longtemps été l’artère principale de l’ancien Cloître Notre-Dame, vieux quartier du nord-est de l’île de la Cité, prolongée à partir du XIIIème siècle au-delà du cloître par la rue des Marmousets. Désormais, son charme singulier, sa situation attenante à la cathédrale et ses bistrots photogéniques séduisent les touristes du monde entier. Légendes urbaines, faits divers sanglants, résidence de nombreux hommes de lettres, mémoire du Paris médiéval, la rue Chanoinesse séduit aussi bien par ses caractéristiques pittoresques que son riche patrimoine lié notamment à l’enclos canonial. Lors de fouilles archéologiques menées au XIXème siècle, la rue Chanoinesse, infusée de l’histoire séculaire de Paris, intimement liée à la mémoire du Cloître Notre-Dame, a révélé une origine gallo-romaine avec la découverte d’un pan de l’ancien mur défensif de Lutèce placé sur son tracé. En 1874, elle entre dans une nouvelle ère. La rue Chanoinesse absorbe une partie de la rue des Marmouset qui disparaît, sa seconde moitié tronquée par l’extension des terrains de l’Hôtel Dieu lors de la reconstruction de l’hospice entre 1867 et 1878. 









Au Bas Moyen-Âge, le Cloître Notre-Dame, lieu clos par quatre portes ferrées, ferme la nuit, strictement réservé à la communauté des chanoines. Le quartier sépare le monde séculier, de l’univers religieux. Constitué de propriétés closes, l’enclos canonial du Cloître Notre-Dame attaché au service de la cathédrale est exempté de fiscalité et placé hors de la juridiction de la justice du roi par un édit de Charlemagne (742/48- 814). Ces privilèges perdurent jusqu’au XVIème siècle. 

L’Ecole cathédrale de Paris réservée aux élèves appartenant au clergé est établie sur les terrains du cloître tandis que l’Hôpital des Pauvres, ancêtre de l’Hôtel Dieu, ouvert à tous, se trouve à l’extérieur. En 1110, le très moderne Abélard fonde hors de l’enclos une école destinée aux laïcs, soutenu dans son entreprise par Etienne de Garlande, ecclésiastique, évêque de Beauvais, chapelain du roi Philippe Ier, successivement chancelier de Philippe Ier puis de Louis VI le Gros, et sénéchal de France.

Au XIIème siècle, l’île de la Cité comporte une vingtaine de chapelles et d’églises. L’excessive profusion conduit progressivement à l’abandon de certains sites voire même à des fusions intéressantes. A la fin du XIVème, la rue Chanoinesse évolue sous l’influence des hommes d’église qui abandonnent la vie communautaire. Quarante-six maisons individuelles destinées aux chanoines rattachés au diocèse sont édifiées entre la fin du XIVème et le début du XVème siècle. 








Le numéro 3 de la rue Chanoinesse a été frappé durant la Première Guerre Mondiale, le 12 avril 1918, par un obus de l’une des Pariser Kanonen, modèle Kaiser-Wilhelm-Geschütz, grosse pièce d'artillerie de siège utilisée par l'armée allemande durant leur offensive. Au numéro 8, se trouve un remarquable bâtiment du XIXème siècle, d’inspiration troubadour, antenne parisienne de l’Ecole nationale de la magistrature, à laquelle la rédaction a consacré un article complet ici

Le numéro 10 de la rue Chanoinesse était considéré au XIXème siècle comme l’emplacement de la maison du chanoine Fulbert, oncle d’Héloïse. Les recherches scientifiques historiques ont démanties depuis l’information. Le chanoine Fulbert affecté à l’Hôpital des Pauvres, institution primitive qui donnera naissance à l’Hôtel Dieu, était logé extra-muros, hors du Cloître Notre-Dame. Une plaque commémorative rend hommage à Pierre Trimouillat (1858-1929), chansonnier et humoriste. 

Au numéro 12, l’ancien logis du Grand Chantre, hôtel particulier du XVIIème siècle, a conservé ses belles façades sur la rue Chanoinesse et la rue des Chantres. Côté Chanoinesse, des balcons aux ferronneries ouvragées et une porte cloutée remarquables évoquent les trésors dissimulés aux regards, la voûte du vestibule d’entrée, une cour intérieure où se trouve un puits. Le corps du bâtiment principal, visible depuis cette cour, a été restauré dans les années 1920 dans le style Renaissance de l’ancien Hôtel du Grand Chantre. La partie nord des bâtiments sera un temps au XXème siècle, la résidence parisienne de l’Aga Khan et sa famille. 

Derrière la porte du numéro 14, se trouvait le domicile du Dr Xavier Bichat (1771-1802), médecin à l’Hôtel Dieu voisin et anatomo-pathologiste, père de l’histologie (étude des tissus biologiques) moderne. Il meurt là le 22 août 1802 d’une fièvre typhoïde, contractée à la suite d’un incident lors d’une dissection. 








La maison du numéro 16 possède une deuxième façade au 7 rue des Ursins. Le dramaturge Jean Racine (1639-1699) y a occupé un appartement au deuxième étage. L’homme de lettres Henri Bremond (1865-1933), prêtre catholique, jésuite de 1882 à 1904, historien et critique littéraire français, membre de l'Académie française fut également un résident. Le journaliste Hubert Beuve-Méry (1902-1989), fondateur du quotidien Le Monde, a passé son enfance ici. 

Au numéro 17 se cache une belle cour du XVIIème siècle. La maison aurait été durant l’épisode de la Fronde (1648-1643) le quartier général du chef de l’opposition à Mazarin, le Cardinal de Retz (1613-1679) archevêque de Paris de 1654 à 1662. Henri Lacordaire (1802-1861) religieux, prédicateur, journaliste et homme politique français, restaurateur en France de l'ordre des Prêcheurs (dominicains), considéré aujourd'hui comme l'un des précurseurs du catholicisme libéral, y habite au XIXème siècle.

Les numéros 18-20 marquent l’emplacement de l’ancienne tour Dagobert, fanal de l’ancien port Saint Landry datant du XVème ou du XVIème siècle. L’ouvrage est rasé en 1909 pour construire les entrepôts des frères Allez, propriétaires d’une chaîne de grands magasins dédiés à la quincaillerie dont le plus important se trouvait rue Saint Martin. Le site est libéré et la destruction de la tour validée en échange d’un service rendu par les frères Allez qui cèdent leurs anciens entrepôts voisins en contrepartie. Depuis 1945, le bâtiment relève de la Préfecture de Police et accueille le garage de la compagnie motocycliste, deux-cent-cinquante motards, ainsi que des locaux administratifs. 

Au numéro 19, un bâtiment industriel voit le jour en 1908-09 à la place des entrepôts originels des frères Allez. Construit par l’architecte Paul Friesé (1851-1917), il abrite une sous-station électrique en charge d’alimenter la nouvelle ligne 4 du métropolitain. L’usine entre en service à partir de 1910. La modernisation des équipements électriques la rende obsolète dans les années 1960. Elle a désormais été reconvertie en service technique par la RATP. 









Les numéros 22 et 24 de la rue Chanoinesse conservent les deux derniers logis de chanoines préservés à travers les siècles, classés aux monuments historiques à différents titres. Les quarante-quatre autres ont disparu. Au numéro 22, la maison du XVIème siècle dissimule dans l’une des cours intérieures communiquant avec le numéro 24 les vestiges remarquablement conservés de la chapelle Saint Aignan fondée en 1120. De style roman, de dimensions modestes, elle s’appuie sur le mur d’enceinte gallo-romain. Au numéro 24, la maison datée officiellement de 1512 conserve les grilles caractéristiques de la devanture des anciens marchands de vin. Aujourd’hui, le pimpant bistrot, Le Vieux Paris d’Arcole, attire tous les photographes amateurs avec ses glycines centenaires qui courent le long de la façade. 

Au numéro 26, le bistrot Au Bougnat, dans une atmosphère un peu différente, est logé au creux d’une maison de la fin XVIIIème siècle. L’entrée générale de l’édifice est pavée d’anciennes pierres tombales caractérisées par des caractères gothiques, stèles empruntées aux cimetières privés des cloîtres et anciennes églises aujourd’hui disparus. Recyclage avant l’heure.
A l’angle de la rue de la Colombe, se seraient tenus deux échoppes de macabre réputation, lieux de l’« affaire de la rue des Marmousets ». En 1387, un duo sanguinaire, le barbier Labard et son complice le pâtissier Miquelon, s’y font connaître à l’occasion d’un sinistre fait divers. Miquelon tient un commerce réputé pour l’excellence de ses pâtés, qu’une enquête révèlera confectionnés avec la chair des clients égorgés par Labard. Le pot aux roses aurait été découvert grâce au comportement étrange du chien de l’une des victimes, hurlant à la mort devant le salon du barbier cannibale. Cette anecdote folklorique n’est pas sans rappeler l’histoire très similaire de Sweeney Tood le barbier sanguinaire de Fleet street, datant du XIXème siècle.  

Rue Chanoinesse - Paris 4



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Connaissance du Vieux Paris - Jacques Hillairet - Editions Rivages
Paris secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Editions Parigramme
Le guide du promeneur 4è arrondissement - Isabelle Brassart et Yvonne Cuvillier - Editions Parigramme