A la Nouvelle Orléans, en plein Carnaval, Lady Vinsantos trône sur l’une des chars les plus extravagants de la parade, reine d’un royaume d’illusion et de paillettes. Démesure, glamour, fête ! Drag queen iconique de la scène artistique néo-orléanaise, Vince de Fonte a fourbi ses premières armes dans l’un des clubs culte de San Francisco. Au lendemain de l’ouragan Katrina, il s’est installé à la Nouvelle Orléans, ville plus abordable pour les artistes. Là, il a créé sa propre école « New Orleans Drag Workshop » où il forme de jeunes recrues, hommes et femmes. Les cent-vingt élèves de cette « drag mother » emblématique, constituent une famille choisie, reconstituée. Les jeunes recrues, souvent issues de minorités sont victimes du racisme, de l’homophobie, de la misogynie, communauté stigmatisée, discriminée frappée durement par l’épidémie de VIH et la précarité. Devenu une figure centrale, Vince incarne depuis une dizaine d’années son avatar haut en couleurs, Lady Vinsantos.
Discipline issue de la scène underground, entre théâtre et transformisme, le « drag art » a été popularisé auprès du grand public par la téléréalité et l’émission « Ru Paul’s Drag Race » diffusée depuis 2009. Désormais lucrative, cette pratique a fait l’objet d’une récupération par l’industrie du divertissement. Les vétérans vivent assez mal le revers de la médaille, la diffusion de stéréotypes propres aux codes du drag commercial, une idée de la féminité outrancière de sophistication, la normalisation des prestations pour se conformer aux attentes du public. En route, les artistes ont perdu leur puissance d’expression personnelle.
Atteint dans sa fibre artistique, étouffé par son alter ego Lady Vinsantos, Vince de Fonte est de plus en plus nostalgique de ses débuts. Son personnage de clown androgyne lui accordait plus de liberté. Après trente années sous les projecteurs, il songe à raccrocher les plateform shoes, prendre sa retraite et changer de cap. Il nourrit l’idée romanesque de dire adieu à son personnage à travers un ultime spectacle, toute dernière apparition sur scène à Paris avec ses amis, ses élèves. Le rêve confronté à la réalité va s’avérer moins évident que prévu.
La réalisatrice Coline Abert se penche avec empathie, pudeur et sensibilité sur un parcours singulier, celui de Vince en pleine crise existentielle, pour parler d’un phénomène artistique unique, de la création des scènes drag, leurs univers, leurs différences. Oeuvre intime, authentique, sincère, le documentaire « Last Dance » nous parle de la société américaine, de son évolution, de ses drames, ses inégalités et la force rédemptrice de l’art. La cinéaste filme au plus près des protagonistes, saisit les visages où passent les émotions où naissent les sourires et les larmes, capture les sentiments pour mieux éclaire la complexité de ces existences.
Séduite par la scène artistique de la Nouvelle Orléans, Coline Abert fait de la ville, de son énergie créatrice, de sa fantaisie, un véritable personnage. Elle parcourt les coulisses du « drag art », pousse les portes des ateliers, où elle découvre les secrets de l’illusion des revues transformistes, le maquillage, le contouring, le padding. La pratique remet en question les représentations, le genre, les apparences. Les drag queens mettent en scène des avatars qui brouillent la frontière entre l’art et la vie. La créature incarnée, créée de toute pièce qui surgit de la loge, dépasse les limites du réel, ouvre par sa présence des espaces de fiction et d’humour.
Colin Abert trace le portrait de Vince qui a mené une vie au jour le jour. Il ne s’est pas occupé de sa retraite, de ses finances, n’a pas mis de pécule de côté. Il est hanté par l’angoisse, l’incertitude des lendemains, se laissant aller aux doutes comme à la procrastination. Aujourd’hui, il observe son visage marqué par les rides, le double menton et remet en question son art. Il veut se construire une nouvelle identité en abandonnant Lady Vinsantos. Par son école, il a réinventé la notion de famille, d’entraide, de liens dans la grande tradition des maisons drag. Derrières les faux cils, les perruques vertigineuses et les paillettes, elle vient souligner l’engagement, l’irrévérence et la liberté. L’art du drag ne s’arrête pas aux artifices, il s’agit de transmettre un message politique militant, faire bouger les lignes. Documentaire sensible, mélancolique, « Last Dance » est un bel hommage à l’engagement des artistes.
Last Dance, un documentaire de Coline Abert
Avec Lady Vinsantos alias Vince de Fonte, Gregory Gajus, Fauxnique, Franky Canga
Sortie le 22 février 2023
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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