Lundi Librairie : Vie rêvée - Thadée Klossowski de Rola




Oiseau de nuit, Thadée Klossowski de Rola, fils du peintre Balthus qui ne lui accorde que de minces subsides, loin d'être suffisants pour soutenir son mode de vie, subvient à ses besoins en travaillant le moins possible. Garçon chic, ces petits boulots sont élégants, des traductions, des relectures d’articles. Comme il est beau, insouciant, de compagnie agréable et entouré de jolies femmes, il se fait inviter, ne règle aucune note. Hébergé par la veuve de Georges Bataille, il campe dans l’ancien bureau de l’écrivain. Chargé d’inventorié les archives de l’écrivain, il prépare une édition des œuvres complètes pour Gallimard. Et repousse sans cesse l’écriture de son premier roman. 

Atmosphère très fitzgéraldienne, époque libertaire, ce jeune dandy désinvolte brûle sa vie avec panache. Il navigue en électron libre dans le sillage du cercle d’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé. Le soir, il fréquente le New Jimmy’s, Chez Castel, au Sept rue Sainte Anne de Fabrice Emaer futur patron du Palace, danse avec Barbara Steele, Elsa Martinelli, Betty Cartroux.  Ce microcosme fantasque, bohème créative, réunit esprits brillants, artistes, mécènes, princesses rock, musiciens. Thadée croise Marie-Laure de Noailles, Louis Aragon, Karl Lagerfeld, les architectes Ricardo Boffil et Emile Aillaud, Helmut Berger, Hélène Rochas. Kenneth Anger l’emmène à une fête chez Brian Jones où se trouve Mick Jagger. Il assiste à la télévision au premier pas de l’homme sur la lune en compagnie du poète Ezra Pound. Il se promène à Venise avec Andy Warhol. Ses amoureuses sont Clara Saint aka Baba l’attachée de presse d’Yves Saint Laurent, Caroline Loeb, puis Loulou de la Falaise qu’il épouse en 1977. Thadée connaît les plaisirs, la fête, un hédonisme d’excès, les nuits sans sommeil, l’alcool, les psychotropes et au petit jour une certaine mélancolie, un désarroi prégnant. Malheureux de ne pas écrire, le dilettante renonce à sa vocation d’écrivain qui nécessiterait de prendre le temps. A défaut, il note ses lectures.

« Vie rêvée » réunit les pages choisies de son journal tenu par intermittence. Dès l’année 1965, il a vingt-et-un ans, il s’estime déjà raté.  Il reprend plus assidument de 1971 à 1977 couchant sur le papier les bribes d’une vie trépidante et mélancolique. Annotations brèves, souvenirs polis comme des galets, il raconte sa jeunesse oisive et le désenchantement d’une existence dissolue. Avec sensibilité, il croque des saynètes sur le vif, capture l’instant en quelques mots, regard acéré, plume agile, fulgurances poétiques. Porté par la musicalité de la langue, il trace le portrait des excentriques qu’il fréquente. Thadée se désespère de ses ambitions littéraires en suspens, cultive son indécision, revendique sa paresse. L’ombre du père pèse sur ses épaules comme un empêchement de se réaliser. La procrastination traduit un certain mal de vivre que vient éclaire l’histoire d’amour romanesque avec Loulou. Nostalgie d’une époque révolue. Tendre était la nuit.

Vie rêvée - Thadée Klossowski de Rola - Editions Grasset



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.