Lundi Librairie : Dans les forêts de Sibérie - Sylvain Tesson

 


Sylvain Tesson s’était fait la promesse de consacrer, avant ses quarante ans, six mois de sa vie à une retraite solitaire au fin fond de la Sibérie. En février 2010, il s’installe dans une isba sur la rive occidentale du lac Baïkal, à cinq jours de trajet du village le plus proche. Loin du confort moderne, il mène alors une vie rudimentaire, sans contraintes, détachée de tous les engagements contemporains. Il renoue le lien avec les gestes élémentaires ancestraux : couper du bois pour se chauffer, pêcher dans un trou percé à travers la glace, préparer les repas. Il prend le temps se perdre dans la contemplation du paysage, de fumer des cigares. Il rattrape le retard de ses lectures, plonge dans les livres d’Henry David Thoreau, Albert Camus, Ernst Jünger, Michel Tournier, Blaise Cendrars, Jean Giono, Joseph Conrad. Selon la météo - la météo descend souvent à moins trente-deux- il tente des sorties, patine sur le lac, se lance dans des excursions pour aller visiter les voisins à une journée de marche. La vodka, fidèle compagne, fête les jours sans nuages, anesthésie les douleurs.

Journal d’un ermitage, « Dans les forêts de Sibérie », prix Médicis Essai 2011, témoigne d’une existence alternative possible. En diariste inspiré, Sylvain Tesson raconte comment il a retrouvé le silence, la quiétude du temps qui passe en se détachant des frénésies modernes privées d’émerveillement. Ce carnet de voyage méditatif s’inscrit dans le schéma des échappées belles émancipatrices, ode à la liberté. Ce grand styliste déploie les grâces d’une littérature contemplative aux descriptions poétiques. Sous sa plume affûtée, la nature grandiose, presque intouchée, retrouve sa féérie oubliée, une certaine volupté onirique. Il célèbre la beauté d’un environnement âpre et les créatures de la taïga parfois dangereuses, les immensités lointaines où les Hommes ne sont que de fragiles invités. Les terres glacées de la Sibérie, hostiles, représentent un défi physique. 

Au cours de cette initiation à la survie, solitude à peine interrompue par quelques visites impromptues, injonction à la sobriété, Sylvain Tesson s’émancipe du monde tel qu’il va, inaccessible bonheur. Il tourne le dos à la société, à la civilisation. Sa profonde mélancolie révèle un homme en quête de soi insatisfait. Il trouve enfin un sens à sa vie par ce retour à l’essentiel, une autre façon d’être au monde. 

L’acuité du regard porté sur son temps laisse transparaître une vague dégoût de l’époque, parfois à la lisière de la misanthropie. Le cheminement intellectuel au fil des pages tranche vers une fraternité retrouvée. Sylvain Tesson choisit de partir loin et seul, se dérobe à sa vie sociale pour mieux se retrouver. Tempérament d’aventurier, il s’étourdit de solitude et de vodka. Ses réflexions personnelles marquées par l’humour et le goût des aphorismes disent l’instant capturé, ré-apprivoisé. Par le récit de cette ascèse illuminée volontiers éthylique, mystique dipsomane, renaissance éblouie, Sylvain Tesson nous invite à vivre le présent, hors du temps, hors du monde. 

Dans les forêts de Sibérie - Sylvain Tesson - Editions Gallimard - Poche Folio



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.