A Paris, Zyed, jeune Maghrébin sans papier, survit d’expédients en marge de la société. Victime dans sa famille de violence, d’abus et d’inceste, il a choisi l’exil. En arrivant en France déjà cabossé par la vie, Zyed s’est retrouvé dans une situation de grande précarité. Au bout de deux mois, à défaut d’autre solution, il faisait ses premières passes au bois de Boulogne, travesti en femme. Son nom de guerre, Chicha. Rapidement, il a gagné son bout de trottoir et puis il a rencontré des copines même si la solidarité entre travailleurs du sexe n’est pas toujours évidente. Pour fuir l’implacable réalité de ces longues nuits, Chicha abuse des drogues, de l’alcool, se rendant d’autant plus vulnérable. Il faut éviter les groupes organisés pour « casser du trav », les bandes de lascars qui rackettent les prostitués, les michetons pas nets. Durant la nuit du 8 au 9 août 2020, une Mercedes qui tourne dans le bois depuis un moment, s’arrête devant Chicha. Le client, mine patibulaire, ne lui revient pas. Pourtant la voiture est belle. Il a l’air d’avoir les moyens et propose une somme importante à régler d’avance. Négociations, hésitations. Chicha prend le risque malgré son mauvais pressentiment. Elle n'a pas les idées claires et accepte d'accompagner le type dans une maison à Saint Cloud. Le piège se referme.
Le style, oralité ponctuée d’argot propre à l’auteur, est inimitable. Zarca aborde la déshumanisation au quotidien et puis l’horreur des sévices, le soulagement quand ils cessent, d’une même écriture incisive, viscérale. Sans concession, le romancier tranche dans le vif, propos frontal. Il refuse d’édulcorer le fracas de la barbarie. La plume rageuse, lame affûtée, n’épargne pas le lecteur.
Aux thématiques récurrentes de son oeuvre, la marge, les addictions, la contre-culture de la nuit, Johann Zarca ajoute un nouvel axe de réflexion sur les conditions de travail des prostituées. Dans cette incursion au bois, huit ans après « Le boss de Boulogne » https://www.parisladouce.com/2014/01/lundi-librairie-le-boss-de-boulogne-de.html il donne à voir les effets dangereux pour les travailleurs du sexe de la loi de pénalisation des clients de 2016. La raréfaction de la demande, moins de michetons, peu d’habitués, les pousse à prendre plus de risques, accepter de s’isoler afin de préserver l’anonymat du client, accepter des situations de vulnérabilité, des pratiques plus violentes. Et dans les faits, les agressions se sont multipliées depuis le passage de la loi.
Roman d’atmosphère, représentation incarnée, vibrante de la nuit, Johann Zarca saisit à vif la fièvre particulière, les excès, la brutalité de ce microcosme du bois de Boulogne. Il en exprime la violence, la folie. Par le biais du personnage de Zyed aussi émouvant qu’attachant, il dit l’âpreté des vies fracassées, la résignation, l’espoir de s’en sortir. Le récit prend aux tripes, à la gorge. Livre radical, cru, éprouvant. Uppercut littéraire.
La nuit des hyènes - Johann Zarca - Editions Goutte d’or
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