Lundi Librairie : Le radiateur d’appoint - Alex Lutz

 


Françoise, veuve retraitée, a eu un peu de mal à retrouver ses marques au décès de son mari. Seule dans son petit pavillon de banlieue, elle peine à gérer les tracas administratifs du quotidien. A la suite d’une consultation du cadastre, la grande surface voisine vient de faire main basse sur 4m2 de son jardin. Et le vieux pommier qui s’y tenait, porteur de tant de souvenirs a été abattu. Colette, sexagénaire bien gentille mais un peu lunaire, est sa seule amie. Son fils Thibault a fait de belles études. Désormais homme d’affaires cynique au succès rutilant, il est installé à l’étranger, à Düsseldorf. Lorsque sa mère lui demande de l’aider dans certaines démarches du quotidien, il s’agace de la sentir si empotée. Il ne prend pas le temps, laissant des entrepreneurs sans scrupules, profiter de la vieille dame. Françoise rencontre un problème avec le chauffage de son pavillon mais ne parvient pas à joindre le service client. Soudainement, les températures ont chuté. Il fait désormais moins dix. Saison glaciale et délais d’intervention, elle décide de se rendre au magasin de bricolage de la zone commerciale voisine pour y acheter un radiateur d’appoint. Le responsable d’équipe de la grande surface, Xavier, bonne pâte harcelée un supérieur pervers et manipulateur, a été contraint de mettre en avant dans les rayons un chauffage défectueux. Les responsables de l’enseigne connaissent le problème mais cherchent à écouler les stocks à tout prix. Sur le flanc des parois chauffantes, se trouvent deux stickers difficiles à retirer qu’il est pourtant impératif de décoller avant utilisation. Cette malfaçon s’avère dangereuse et les répercussions tragiques. Françoise allume le radiateur sans avoir fait le nécessaire et s’endort profondément sous l’effet des émanations toxiques. Le pavillon prend feu, la vieille femme finit à l’hôpital dans un état critique. Thibault, rongé par le remords de ne pas être intervenu, se précipite à son chevet. En quête d’un responsable pour apaiser sa culpabilité. 

Humoriste, comédien, réalisateur et désormais romancier, Alex Lutz a développé une sensibilité particulière pour donner vie aux personnages ordinaires, ancrés dans la réalité du quotidien le plus prosaïque. Destins croisés autour d’un appareil d’électroménager, cette histoire d’accident domestique s’inspire d’une expérience personnelle avec des autocollants récalcitrants. Dans cette fable contemporaine douce-amère, parfois cruelle, il adopte un point de vue incongru, choisissant pour narrateur le radiateur défaillant. L’appareil placé au cœur des intimités, à hauteur des intériorités, se révèle observateur aussi discret qu’inattendu de la condition humaine.

L’auteur s’attache à rendre avec drôlerie, empathie et une grande tendresse la mosaïque pleine d’humanité d’une galerie de personnage plus vrais que nature. Des employés du magasin, Xavier persécuté par l’Alpha du boys club, la gouailleuse Valérie, survivante d’un cancer du sein, Alya, la jeune caissière en colère contre le monde entier, il passe aux clients Anouck, comédienne du théâtre subventionné, militante sur le retour, larguée depuis longtemps. Thibault, le fils indifférent. Colette, la retraitée timide. Portraits tendres, justes, féroces, les protagonistes se croisent sans se voir réellement, comme autant de solitudes inavouées. Humiliés, exploités, frustrés, ils ont accepté les compromis, colère rentrée, ressentiments, éclats trop tardifs et silences trop longs.

L’acuité du regard posé sur ces vies banales et d’autant plus proches des nôtres, nourrit la finesse psychologique du texte. Il dit le renoncement des existences ordinaires sans flamboyance, la morosité des banlieues pavillonnaires à la périphérie, la modestie du quotidien et des joies, les espoirs déçus, les aspirations dissolues dans la réalité. Alex Lutz explore la complexité des relations, les liens qui s’étiolent mais aussi ceux qui se nouent se renforcent dans l’adversité.

Dans cette vision sombre de la société, les aînés sont délaissés, les voisins ne se parlent pas, le monde du travail avilit les salariés quel que soit leur niveau. Les opportunistes sont récompensés pour leurs faiblesses et leurs lâchetés. La vie paraît dérisoire. Les malentendus mis en lumière interrogent les comportements et la responsabilité collective. La violence structurelle de la société envers les plus faibles, les injustices sociales et le désenchantement renforcent un désir de réparation qui peine à s’exprimer.

Le découpage narratif très cinématographique donne lieu à des saynètes qui donnent à penser les contradictions des personnages et illustrent la vaste palette des émotions humaines. Le roman porteur d’une certaine gravité, est traversé d’une profonde mélancolie et d’une grande tendresse. 

Le radiateur d’appoint - Alex Lutz - Editions Flammarion



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.