Paris : Le Bal du Moulin de la Galette (1876), chef-d'oeuvre signé Auguste Renoir



« Le bal du moulin de la Galette », oeuvre emblématique d’Auguste Renoir (1841-1919) éclaire son surnom de peintre du bonheur sous un jour éclatant. Précurseur du mouvement impressionniste, l’artiste a su cultiver un imaginaire empreint d’une certaine insouciance, de quiétude heureuse. Ses portraits féminins, ses scènes du quotidien bourgeois, tout comme ses paysages de bords de Seine respirent une indéniable douceur de vivre. En 1876, Auguste Renoir documente la vie de la Butte, sa bohème, son atmosphère particulière. Il s’installe dans un atelier de la rue Cortot au cœur d’une cité d’artistes réputée et plus ancienne maison de la Butte devenue aujourd’hui le Musée de Montmartre. Lors de ses recherches, le peintre s’attarde particulièrement au Moulin de la Galette, une guinguette très en vogue, lieu populaire de mixité sociale qu’il fréquente le dimanche avec ses proches. Renoir travaille durant des mois dans un processus aussi minutieux que fervent sur le tableau d’envergure qui deviendra « Le bal du moulin de la Galette ». Ses amis, peintres, journaliste et modèles, collaborent à l’élaboration de cette oeuvre innovante. Ils posent et se prêtent au jeu des nombreuses études préparatoires. Auguste Renoir cherche à rendre l’esprit de ce bal, cette atmosphère de divertissement heureux. Il s’attache à saisir l’instant suspendu d’un après-midi d’été, aperçu vibrant d’un quotidien festif, retranscription picturale de l’époque. Sa vision très optimiste diffère des œuvres de Toulouse-Lautrec, Van Dongen, Picasso. Les cabarets de la Butte, mondes interlopes, sont souvent les lieux de la prostitution, de la misère, de l’alcoolisme. Les peintres de la rue Cortot et du Bateau-lavoir vivent la bohème le ventre creux. 





« Le bal du moulin de la Galette », illustre par ses dimensions imposantes 131x175 autant que par les expérimentations abouties, l’ambition de l’artiste de produire un chef-d’œuvre. Le tableau présenté en 1877 lors de la troisième exposition des Impressionnistes reçoit un accueil mitigé de la part de la critique. Les journalistes formulent des réserves concernant la technique impressionniste, les effets de flou et de touche vaporeuse. Gustave Caillebotte (1848-1894), ami et mécène de Renoir, également un grand peintre, se porte acquéreur de la toile en 1879. Au décès de celui-ci, son testament permet l’entrée du « Bal du moulin de la Galette » dans les collections publiques. Le legs Caillebotte qui ouvre la porte des musées nationaux aux impressionnistes, n’est que partiellement accepté par l’Administration du fait de l’opposition de l’Académie Beaux-Arts. En 1896, le tableau rejoint le fonds du Musée du Luxembourg. Affecté au Musée du Louvre en 1929, il est exposé à la Galerie du Jeu de Paume de 1947 à 1989 date à laquelle il rejoint le jeune Musée d’Orsay inauguré en 1986. 

Par son style novateur, « Le bal du moulin de la Galette » éclaire l’ambition du mouvement impressionniste : remettre en question la pratique picturale. Sans précédent, les peintres sortent de l’atelier pour installer leurs chevalets en plein air. Ils envisagent de peindre le monde, d’ancrer leur art dans la réalité du quotidien. La représentation en extérieur leur permet d’aller à la rencontre des gens. 

Tableau de genre, scène de plein air dans la lignée des guinguettes de bord de Seine peintes autour de 1869, « Le bal du moulin de la Galette » capture un instantané. Renoir s’attache à interpréter en image le plaisir de la fête, rendre le mouvement de la vie par des effets plastiques inédits. Avec un sens du détail paradoxal, ses floutés traduisent le frémissement des étoffes, la dissolution des contours l’énergie du vivant, l’atténuation des formes la vitesse du mouvement, rythmique quasi musicale. Il saisit les attitudes dans le moment de la danse, expressivité des visages, des postures, tour à tour abandon, joie, ivresse, ennui, séduction, grâce, naïveté. 

Le pinceau libre rend compte d’une certaine vibration produite par la foule joyeuse, mosaïque de personnages, complexité de la scène. La danse, l’affluence, le décor ensoleillé apparaissent comme autant de prétextes esthétiques à l’exploration de la technique impressionniste. Renoir s’est penché tout particulièrement sur le traitement de la lumière. La palette de couleurs vives et de pastel, touches visibles, sensuelles, fait jaillir des notes bleues, roses, jaunes. Distribuées en kaléidoscope, les touches pommelées traduisent par motifs d’ombre projeté la lumière traversant le feuillage d’un arbre hors cadre 





La composition du « Bal du moulin de la Galette » est construite autour d’une diagonale. La démarcation en trois plans différents trouve son équilibre dans le foisonnement des motifs et des personnages. Le premier plan se compose d’un groupe attablé, engagé dans une conversation joyeuse, les amis du peintre. A la table, les deux peintres Franc-Lamy (1855-1919), et Norbert Goeneutte (1854-1894) qui a déjà posé pour Renoir avec « La Balançoire » et « La Tonnelle » conversent avec le critique d’art Georges Rivière (1855-1943). Ami proche de Renoir rencontré lors de la première exposition impressionniste en 1874, il soutient le mouvement très précocement et fonde la revue L'Impressionniste à l'occasion de la troisième exposition impressionniste en 1877.

Sur le banc se trouvent le peintre Frédéric Samuel Cordey (1854-1911) qui figure dans plusieurs tableaux du maître notamment « La Conversation » et les deux sœurs Samary. Jeanne Samary (1857-1890), comédienne, sociétaire de la Comédie française, s’est spécialisée dans les rôles de servantes moliéresques. Renoir lui consacre une douzaine de portraits entre 1877 et 1880. Elle apparaît dans la composition du « Déjeuner des Canotiers » en 1880-81. A ses côtés, sa sœur Estelle Samary également modèle. Le deuxième plan se concentre sur le mouvement des danseurs. Un couple se distingue parmi la foule. Au bras du peintre cubain Pedro Vidal de Solares y Cardenas se trouve Marguerite Legrand, travaillant sous le nom de Margot ( ?-1879), l’un des modèles favoris de Renoir, dont elle était la maîtresse. Instant suspendu, jupon noir tranchant sur le rose pâle de la robe. L’arrière-plan de la composition est occupé par les tonnelles du bal et la scène où joue l’orchestre. Seuls les effets d’échelle rendent perceptibles la perspective.

Il existe une seconde version plus petite 78x114 du « Bal du moulin de la Galette ». Le doute demeure quant à la chronologie d’exécution. Un temps dans la Whitney collection, la toile a été vendue aux enchères par Sotheby’s à New York, en 1990, pour la somme record de 78 millions de dollars, à un industriel japonais. « Le bal du moulin de la Galette »

Depuis la loi sur les musées français en 2002, les oeuvres d’art des collections publiques sont inaliénables. « Le bal du moulin de la Galette » de Renoir demeure sous bonne garde en résidence permanente au Musée d’Orsay. 

Le Bal du Moulin de la Galette - Pierre Auguste Renoir 1876



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.