Fin 1972. Le bateau de relève accoste le phare de pleine mer le Maiden Rock situé à quinze mille marins au sud-ouest des côtes de Cornouailles. La porte est verrouillée de l’intérieur. Et personne ne répond. Les trois hommes qui s’y trouvaient, Arthur Black, l’irréprochable gardien-chef, Bill Walker son second et Vince Bourne, le débutant, ont disparu sans laisser de traces. Les deux horloges du phare se sont arrêtées sur 9h45. La table a été dressée sur des repas pas entamés. Le journal du phare tenu par le gardien-chef enregistre une forte tempête malgré la confirmation d’une météo clémente sur la semaine précédente et l’intervention d’un mystérieux visiteur. Les soupçons se reportent sur Vince, le dernier arrivé qui avec cet emploi pensait trouver une seconde chance, à la suite d’un séjour en prison. Trident, la société de gestion des phares préfère étouffer l’affaire afin d’éviter toute possible accusation portée contre la compagnie. Elle choisit de verser des allocations aux compagnes des disparus à conditions que celles-ci gardent le silence.
A la suite de neuf livres sous trois pseudonymes, Emma Stonex signe un premier roman à son nom. L’intrigue originale adaptée à une époque plus contemporaine, s’inspire d’un fait divers réel datant de 1900, la disparition inexpliquée de trois gardiens dans un phare des îles Flannan, les Hébrides, en mer d’Ecosse. Thriller maritime, polar horrifique, histoire de fantômes, enquête psychologique, la romancière détourne les motifs, brouille les frontières entre la réalité et le champ des possibles, détourne les pistes pour mieux percer la psyché des personnages. Emma Stonex éclaire des liens nébuleux entre les sentiments humains, jalousie, colère enfouie, douleurs, désarroi, et les éléments de la nature, violence de l’océan, brouillard, puissance de la tempête. Echos troublants, elle rend tangible la profondeur des mystères, l’absence des trois hommes évaporés. Entre apparences irréprochables et poids des silences, l’écrivaine capte le sentiment d’étrangeté, atmosphère étouffante, anxiogène.
Le récit se déploie entre deux époques, 1972 et les derniers jours des gardiens, puis 1992, les veuves aux vies suspendues frappées par un deuil impossible. Roman polyphonique, les voix alternent, les protagonistes prennent la parole tour à tour. Ils racontent la monotonie du quotidien dans le huis clos du phare, la rigueur de l’emploi du temps. D’une écriture sensible, elle dit les tourments intimes, les failles, les pulsions suicidaires, évoque les frictions. Les possibles troubles psychiques, la peur, le confinement, modifient les perceptions. La claustrophobie, l’isolement, l’éloignement sont propices aux distorsions de la réalité, les hallucinations.
A terre, Helen, Jenny et Michelle, vingt ans plus tard, entretiennent des relations complexes, hantées par leurs disparus, le deuil impossible, les regrets et les rancoeurs. Insensibilisation, répression de l’inconscient, les non-dits s’incarnent dans des manifestations surnaturelles. La folie rôde, l’angoisse alterne avec l’engourdissement. Les mots traduisent l’invisible, les intériorités. Emma Stonex va à la rencontre de ces personnages en quête de rédemption réservant la résolution du mystère pour de grandes révélations finales.
Les gardiens du phare - Emma Stonex - Traduction Emmanuelle Aronson - Editions Stock
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