Lundi Librairie : L'Énigme du retour - Dany Laferrière


A Montréal, un écrivain haïtien en exil passe de longues heures en méditation dans son bain rêvant des livres à venir. Une nuit, un appel lui annonce le décès de son père. Quinze années séparent les destins similaires du père et du fils, contraints à l’expatriation, l’un par la dictature de Papa Doc, l’autre par celle de Bébé Doc, le fils au Canada, le père à Brooklyn. L’écrivain se rend à New York pour les funérailles d’un homme presque inconnu. Rendu fou par l’exil et la solitude, celui-ci avait refusé d’ouvrir la porte à son enfant quand celui-ci avait tenté de le revoir. Après trente-trois ans d’exil, le narrateur s’envole vers Haïti afin de partager le deuil avec sa famille. Retour aux sources de son imaginaire, il s’engage dans les pas du petit garçon surnommé Vieux-Os. C’est un choc de découvrir la déréliction de ce pays synonyme dans son souvenir de grande beauté. Pourtant, le peuple privé de sa liberté a su préserver sa dignité et sa sagesse. L’espoir tenace s’incarne dans la jeunesse, l’envie de s’engager pour le futur, le bouillonnement artistique ou encore les mêmes jeunes filles fascinantes de son adolescence. Avec nostalgie, il retrouve les anciens camarades de classe, les souvenirs d’un temps révolu puis part à la découverte du village natal de son père.

Récit intime à la portée universelle, « L’Énigme du retour » a été distingué par le prix Médicis 2009. Ce voyage aux origines, paradoxalement sous-titré roman, témoigne d’une réalité poignante et cruelle contre laquelle l’humour se révèle salvateur. Journaliste, romancier, cinéaste, et académicien depuis 2013, Dany Laferrière s’engage dans une quête de soi cathartique. Il multiplie les clins d’œil au texte essentiel « Carnet d’un retour au pays natal » d’Aimé Césaire. Ici, le double fictionnel de l’auteur renoue avec l’enfance, retrouve l’innocence, la douceur de vivre, le souvenir de sa grand-mère Da à Petit-Goâve, l’adolescence à Port-au-Prince avec sa mère et ses tantes. Le merveilleux, les mythes et les fantasmes se mêlent une nouvelle fois. L’architecture singulière de ce récit porté par l’élégance de l’écriture concourt à sa puissance lyrique. Des poèmes en vers libres scandent la narration en prose. L’auteur se laisse envahir par la volupté des descriptions, exalte les sens, la beauté de la nature. La musicalité de la langue se fait mélopée sensuelle et fluide. 

Une profonde mélancolie saisit Dany Laferrière lorsqu’il confronte cette mémoire heureuse à la réalité de la misère, de la violence. La faim tenaille un peuple exsangue mais pas défait, résilience et espoir au cœur. Des bidonvilles de Port-au-Prince au terres ingrates du cœur de l’île, l’écrivain peine à se reconnaître dans ce pays au visage méconnu. Il ne lui appartient plus. Le sentiment de déracinement, sentiment d’avoir été dépossédé de son identité se manifeste dans ce trouble naissant. Il en vient à la questionner. Il cherche les repères familiers de l’enfance, s’interroge sur la transmission d’une culture, la filiation. La vie volée par l’histoire. Cette introspection douloureuse progresse avec une certaine gravité. Le regard est lucide. Dany Laferrière exprime la culpabilité de l’exilé parti en laissant les autres derrière lui, sa mère et sa sœur. Hymne au peuple d’Haïti, chant d’ouverture au monde, « L’Énigme du retour » est un livre magnifique, douloureux, émouvant.

L’Énigme du retour - Dany Laferrière - Editions Grasset - Poche Le Livre de Poche 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.