Mikey Saber, quadra lessivé, sans argent, sans domicile, est contraint de retourner chez sa femme à Texas City, petite ville du Golfe du Mexique dominée par une raffinerie. Sa carrière de pornstar a pris fin brutalement. Prétendant être de passage, il atterrit donc chez son ex Lexi. Il y a vingt ans, ils étaient partis ensemble à Los Angeles pour tenter de percer dans l’industrie du X. Lexi avait sombré dans la drogue avant de rentrer seule au Texas tandis que Mikey se faisait une place au soleil. Désormais, il n’a plus rien. Sa réinsertion paraît compromise. Du fait de son cv particulier, il ne trouve pas de travail, n’a le droit à aucune allocation. Aussi désinvolte qu’immature, il se rabat sur des petites combines minables, trafics de drogue, prostitution. Il erre dans la ville désolée. Bientôt Mikey croise le chemin de Strawberry, dix-sept ans, vendeuse dans une boutique de donuts. Il jette son dévolu sur elle, une idée derrière la tête. Loser désenchanté et sans scrupules, il fantasme un retour dans l’industrie du X grâce à la jeune fille. Elle sera majeure dans quelques semaines. Il compte bien profiter d’elle, de sa fraîcheur en devenant son manager et son partenaire.
Chronique sociale décapante, remarquée au festival de Cannes, « Red Rocket » a été distingué à Deauville du prix de la critique internationale ainsi que de celui du jury. Le titre du film qui fait référence au sexe d’un chien en érection assume d’emblée l’irrévérence du ton. Sean Baker, cinéaste de la marge auteur de
« Tangerine » en 2015, « The Florida project » en 2017, fait une nouvelle fois montre de son talent pour filmer les travailleurs du sexe avec empathie. Il s’empare de ce sujet tabou sans misérabilisme levant la stigmatisation. Il porte à l’écran l’envers du rêve américain, donne la parole aux laissés-pour-compte. Il parvient à rendre fascinants les décors de ces lieux oubliés du système, paysages moroses. Sean Baker insuffle la fantaisie dans des quotidiens moroses. Avec une énergie communicative, il dit la survie, la défonce, les combines douteuses soignant des dialogues savoureux souvent portés par des comédiens non-professionnels.
Satire désespérée et solaire, « Red Rocket » surprend par l’acuité du regard tendrement moqueur porté sur une galerie de personnages atypiques, bande de losers magnifiques. Lexi l’ex-femme qui retombe dans le panneau, jouée par Bree Elrod, Strawberry la fausse ingénue, sous les traits de Suzanne Son, Lonnie l’ancien ami prêt à être escroqué, interprété par Ethan Darbone, forment un cercle de proies pour Mikey anti-héros ambigu, manipulateur narcissique. Simon Rex campe cet égoïste arrogant avec superbe et pathétique, triste individu au charme puissant. Paradoxalement attachant, le personnage révèle sa nature de prédateur à l’occasion de sa relation malaisante avec une gamine.
Performance d’acteur, Simon Rex incarne avec nuance l’ambivalence de ce sale type dont le projet d’avenir est de devenir « suitcase pimp », l’un de ces managers véreux qui parasitent la carrière des actrices porno débutantes. Entre ses rêves d’argent facile et ses ambitions minables, il devient l’archétype de l’opportuniste, manipulateur au bagout irrésistible. En revendiquant l’individualisme comme mode de vie, escroquant les plus faibles sans vergogne, il personnifie les excès du capitalisme, le cynisme d’un certain fonctionnement sociétal.
Sean Baker place en toile de fond, la campagne électorale opposant Hillary Clinton à Donald Trump vue depuis la marge de ces populations blanches ostracisées, ces « White trash ». Il décrypte en sous-texte comment le discours nauséabond de Trump est parvenu à séduire une certaine tranche de la population, la façon dont les électeurs les plus fragiles ont été manipulés.
Sensible, corrosif, « Red Rocket » filme la face sombre de l’Amérique dans un bilan peu reluisant. L’iniquité de la société, le gouffre économique entre les différentes classes sociales mènent à des situations politiques au bout desquelles les pires populismes triomphent de la raison.
Red Rocket, de Sean Baker
Avec Simon Rex, Bree Elrod, Suzanna Son, Brenda Deiss, Judy Hill
Sortie le 2 février 2022
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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