Inaugurée en 2018, la nouvelle aile de La Piscine, musée d’art et d’industrie André Diligent de Roubaix, réserve au visiteur la surprise d’un voyage dans le temps, outil pédagogique unique. Au cœur des espaces dédiés à la sculpture contemporaine, l’atelier d’Henri Bouchard (1875-1960), a été fidèlement reconstitué, à la suite d’une donation. Exemple intact d’un lieu de création de la première moitié du XXème siècle, ce module présente un intérêt majeur, parfaire reproduction de l’atelier du 25 rue de l’Yvette à Paris édifié en 1924 selon les directives du sculpteur. Ce dernier devenu musée à la disparition de l’artiste a accueilli le public de 1962 à 2007. Son fils François et sa belle-fille Marie, propulsés conservateurs, se sont dévoués à l’oeuvre de Bouchard. A la suite de faits avérés de collaboration avec l’Occupant nazi qui lui ont été reprochés, le travail de ce dernier a été placé au purgatoire de l’art. Néanmoins, l’intérêt de ce lieu demeuré intact depuis la disparition de Bouchard en 1960, a valu à l’atelier-musée d’être distingué par le label Musée de France du Ministère de la Culture dès 1985. Plus d’un millier d’œuvres étaient conservées et exposées dans leur contexte de création. Bronzes, pierres, plâtres originaux mais également dessins, croquis, une abondante documentation et la correspondance, les outils de l’artiste, les objets personnels, le poêle à charbon, les selles et les socles. L’institution définitivement close le 14 mars 2007, la collection a été transférée à Roubaix malgré l’absence de liens entre Henri Bouchard et la région. Au sein de La Piscine, l’important fonds d’atelier a rejoint la nouvelle extension, reconstitution minutieuse, support foisonnant de projets éducatifs.
Grand Prix de Rome en 1901, pensionnaire de la Villa Médicis, académicien en 1933, Henri Bouchard est l’un des sculpteurs officiels de la IIIème République. Son style réaliste, certains diraient volontiers pompier, n’évolue vers l’épure que tardivement. Sa production figurative reflète le goût d’une époque. Artiste influent de l’Entre-deux-guerres, enseignant à l’Académie Julian puis aux Beaux-Arts de Paris, il forme de nombreux artistes. Les caciques prisent particulièrement son travail. Bouchard reçoit de nombreuses commandes publiques et ponctue la Bourgogne comme Paris d’œuvres monumentales. Parmi celles-ci, les plus célèbres sont la façade sculptée de l’église Saint-Pierre-de-Chaillot, et l’Apollon musagète, aile droite de la façade du Palais de Chaillot, commande de l’Etat à l’occasion de l’Exposition internationale de Paris de 1937. Le plâtre datant de 1936 est exposé à La Piscine.
Alors que la Seconde Guerre Mondiale éclate, il se range du côté des vainqueurs. En 1941, il participe au voyage des artistes français en Allemagne organisé par Arno Breker et Otto Abetz à l’instigation du Ministère de la Propagande de Joseph Goebbels. En compagnie de Kees Van Dongen, Charles Despiau, Paul Belmondo, Louis-Aimé Lejeune, André Derain, André Dunoyer de Ségonzac, Maurice de Vlaminck, Othon Friesz, Henri Bouchard se rend à Berlin. En 1942, il écrit un article élogieux dans « L’Illustration » pour vanter les conditions de travail des artistes dans l’Allemagne nazie. Ses nombreuses déclarations manifestent l’expression publique d’une approbation de l’Occupant. Il préside la Société des artistes de 1940 à 1945. Expositions, dîners officiels, honneurs, collabore ouvertement avec le Reich. A la Libération, Henri Bouchard sera le seul artiste interdit d’enseignement pour faits de collaboration.
L’atelier reconstitué de cet artiste controversé permet, au-delà du seul intérêt ethnographique, de souligner les liens entre l’art et l’histoire contemporaine. Les conservateurs de La Piscine ont produit à l’entrée de cet espace un long texte d’introduction sans ambiguïté qui propose d’étudier la réalité en rendant compte de la complexité des faits. Une démarche cohérente avec le propos du musée. Trois écrans tactiles dispensent de précieuses informations, cartels descriptifs et outils de médiation. Ils rendent compréhensible une accumulation baroque de près neuf-cents pièces, du délicat médaillon à l’ouvrage monumental.
Atelier Henri Bouchard
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