Paris : Statue équestre d'Henri IV sur le Pont Neuf, les secrets d'un monument, légende urbaine et révélations - Ier / VIème

 


La statue équestre d’Henri IV (1553-1610) située sur le terre-plein central du Pont Neuf,  a connu de nombreuses péripéties. Mésaventures pratiques, le souverain ne verra jamais le monument dévoilé par son héritier Louis XIII (1601-1643) en 1614. Et vicissitudes de l’Histoire, le bronze original disparaîtra sous les coups de massue des émeutiers révolutionnaires en 1792, à l’instar de nombreuses représentations royales parisiennes. Sous l’impulsion de Louis XVIII, une nouvelle mouture de ce bronze caracole fièrement en face de la place Dauphine dès 1818. Très rapidement, des légendes urbaines entourent sa création. Le monument est fondu à partir d’anciennes statues de Napoléon Ier. Le métal est précieux, le recyclage de mise. Mais les artisans en charge de cette entreprise, bonapartistes nostalgiques, auraient imaginé un stratagème pour venger l’outrage fait à l’Empereur en glissant des reliques napoléoniennes à l’intérieur du cheval et de son cavalier. Une campagne de restauration menée en 2004 a partiellement levé le voile sur les mystères de la statue équestre d’Henri IV.








Marie de Médicis (1575-1642) formule l’idée d’un bronze équestre, hommage à son époux, dès 1604. Associée à l’aménagement de la future place Dauphine, la statue doit être implantée à la jonction des deux tronçons du Pont Neuf dont la construction s'achève en 1607. La reine fait appel au talent des artisans florentins afin de réaliser l'oeuvre. A sa requête, un cheval de bronze, signé Jean Bologne (1529-1608), sculpteur flamand, disciple de Michel-Ange à Florence, est fondu d’après les moules en plâtre d’une statue équestre de l’oncle de la reine, Ferdinand Ier de Médicis (1549-1609). Dans le même temps, l’artiste et son élève, Pietro Tacca s’attachent à réaliser un cavalier pour cette monture. Le maître disparaît en 1608 mais l’élève poursuit sa tâche.

Le cheval est achevé en 1611, un an après l’assassinat du roi de France par Ravaillac. Cosme II de Médicis (1590-1621), cousin de la reine, le fait acheminer jusqu’à Livourne pour être embarqué sur un navire en direction de Paris. Le bateau quitte le port en novembre 1613. Victime d’un piratage, il fait naufrage dans le Golfe de Gênes au large de Savone. Le bronze royal sombre. Il demeure un mois submergé avant d’être récupéré à grands frais. Chargée sur une nouvelle embarcation, la statue vogue vers Gibraltar, arrive au Havre pour être transbordée sur une barge à fond plat. Elle remonte la vers Paris. La statue équestre d’Henri IV est inaugurée le 23 août 1614 par Louis XIII.








Le sculpteur Pierre de Francqueville (1548-1615) et son gendre Francesco Bordoni (1580-1654) complètent l’oeuvre. Aux quatre angles du piédestal, ils ajoutent quatre captifs de bronze représentant les quatre parties du monde. Ces pièces sont conservées de nos jours au musée du Louvre.  En 1628, cinq bas-reliefs réalisés par Barthélemy Tremblay et Thomas Boudin représentant les batailles d’Arques et d’Ivry, l’entrée d’Henri IV dans Paris, le siège d’Amiens et la prise de Montmélian sont incrustés dans le socle. Les inscriptions définitives gravées en 1635 sur le piédestal de la statue achèvent l’ensemble. Elles éclairent l’engagement de Louis XIII et Richelieu dans la création du monument mais passent sous silence le rôle de Marie de Médicis.

En 1792, la statue équestre d’Henri est abattue à la suite des émeutes du 10 août. Elle est fondue afin de faire des canons. L’emplacement demeure inoccupé durant le Consulat et l’Empire. Napoléon envisage un temps d’y faire placer un obélisque mais il abdique le 6 avril 1814 avant de mener à bien cette proposition. A l’occasion du retour des Bourbons lors de la Première restauration, une statue provisoire, moulage de plâtre exécuté par Henri Victor Roguier (1758-1841), salue l’entrée de Louis XVIII dans Paris. Ce succédané est remplacé en 1818, au début de la Seconde Restauration par une oeuvre de François Frédéric Lemot (1771-1827). L’artiste s’inspire des différents vestiges de la statue de 1614, éléments épars désormais exposés au Musée Carnavalet histoire de Paris.








D’anciennes statues sont fondues afin d’en récupérer le métal, le Napoléon de la colonne Vendôme, le Napoléon de Houdon de la colonne de Boulogne et la statue du général Desaix de la place des Victoires. Dans le ventre du cheval sont placés quatre coffrets, documents officiels relatifs à l’inauguration du monument, vingt-six médailles et trois ouvrages au sujet d’Henri IV. Une légende urbaine tenace entoure le nouveau monument équestre. Dans ses mémoires, le ciseleur Balthazar Mesnet, bonapartiste convaincu, affirme qu’il aurait introduit souvenirs napoléoniens et pamphlets antiroyalistes à l’intérieur du bronze pour venger l’Empereur. En 1820, le piédestal se dote de bas-reliefs en bronze, représentant au sud Henri IV distribuant des vivres aux Parisiens et au nord son entrée dans Paris en 1594.

En 2004 alors qu’une campagne de restauration minutieuse du Pont Neuf est annoncée pour une période s’étalant entre 2005 et 2009, la statue d’Henri IV ouvre le bal. La corrosion, l'encrassement causé par la pollution, les coulures variées nécessitent l’intervention d’un spécialiste. Classée aux Monuments historiques depuis 1992, elle est confiée à Carlos Usaï. En dix semaines. Le chantier redonne tout son lustre au bronze et permet d’en explorer les entrailles mystérieuses. Les premières découvertes concernent la technique de conception, fonte à la cire perdue pour le cheval et les jambes du cavalier, fonte au sable, travail plus fin, pour le torse, les bras et la tête d’Henri IV. Lors du traitement, une ouverture est pratiquée dans le dos du cavalier afin de procéder à une investigation grâce à une caméra endoscopique. Les quatre cassettes référencées placées officiellement dans le ventre du cheval sont retrouvées et rejoignent l’Armoire de fer aux Archives nationales musée de l’Histoire de France. 










Plus intrigant, trois coffrets non inventoriés contenant des documents sont découverts. Dans le bas du roi, une boîte métallique et un cylindre de bois, et dans la tête un cylindre de métal gravé au nom de Mesnel. Le seul papier exploitable jusqu’à présent, établit une liste, avec signature, des fondeurs et ciseleurs ayant œuvré à la statue. Dans la plus petite des boîtes en étain, le parchemin semble trop fragile aux chercheurs pour être déroulé. Dans l’étui au couvercle gravé, le morceau de parchemin ou de tissu volontairement encollé sur la paroi intérieur nécessiterait des analyses poussées afin de révéler ses secrets. 

Statue équestre Henri IV
Terre-plein du Pont Neuf - Paris 1 / Paris 6



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie 
Guide des statues de Paris - Georges Poisson - Les guides visuels Hazan 
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Monclos - Hachette
Paris mystérieux et insolite - Dominique Lesbros - De Borée Editions 

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