Cinéma : Les Sorcières d'Akelarre, de Pablo Aguero - Avec Amaia Aberasturi, Alex Brendemühl, Daniel Fanego

 

1609. Pays Basque. Alors que les hommes de la région, partis pêcher en mer durant de longs mois jusqu’à Terre-Neuve, afin de subvenir aux besoins de leurs familles, les vieillards, les enfants et les femmes demeurent seuls. La rumeur prétend que ces dernières, bien trop libres, trop indépendantes, entretiendraient des rituels suspects et se livreraient à la sorcellerie. Ana, dix-sept ans, et ses amies se réunissent dans les bois. Heureuses, elles dansent et chantent, manifestation de joie le temps d’une nuit loin de la société des hommes et de leur regard scrutateur. A leur retour, elles sont arrêtées et enfermées, accusées de sorcellerie. Le juge Pierre de Rosteguy de Lancre mène mission d’inquisition au Pays Basque à la requête du roi. Il est convaincu de leur culpabilité et les soumet à la question. Pour obtenir des aveux, il recourt à la torture. Mais la résistance des prévenues ralentit la condamnation hâtive. Esprit rebelle, Ana décide alors de prendre leurs bourreaux à leur propre jeu. Elle leur raconte ce qu’ils ont envie d’entendre et invente des cérémonies fictives, des Sabbats durant lesquels les sorcières prêteraient allégeance au démon et s’accoupleraient avec lui. Elle compte prolonger le récit afin de retarder l’exécution jusqu’au retour providentiel des pêcheurs. Rosteguy, fasciné, troublé, se laisse envoûté par la conteuse.





Distingué par cinq Goyas, le cinquième long métrage du réalisateur argentin Pablo Aguero inscrit des préoccupations féministes modernes dans un récit se déroulant au XVIIème siècle inquisiteur. Le montage nerveux, efficace sert un propos engagé, dans la luxuriance d’une imagerie baroque à la beauté plastique saisissante. Cette libre adaptation de l’histoire vraie de Rosteguy de Lancre se fait réflexion politique sur l’obscurantisme au pouvoir à travers le récit de féminicides perpétrés au nom de la chasse aux sorcières. L’une des tendances du mouvement féministe actuel se revendique de cette lignée de femmes sacrifiées, devenue figures de la lutte contre l’oppression patriarcale. 

Les femmes, premières victimes de l’extrémisme religieux, se retrouvent démunies face aux régimes cléricaux autoritaires. La société patriarcale et la profonde misogynie condamnent à l’avance celles qui refusent de se soumettre au pouvoir des hommes. Entre superstition, absurdité des situations et peur viscérale qu’elles inspirent, le bûcher semble leur seul destin possible. Pablo Aguero saisit la perversion des interrogatoires, la folie d’une époque mais également cette grande tendresse dans la sororité de ces femmes libres. 



Les persécutions entreprises par les religieux aboutissent à des arrestations arbitraires suivis de procès en hérésie absurde. Le piège se referme sur ces femmes. Elles n’ont aucune chance de s’en sortir. Le réalisateur souligne également dans la condamnation des sorcières un rejet des particularités de la culture locale, du régionalisme. Le dialecte, les chansons traditionnelles, les reliquats d’un ancien culte de la nature sont autant de preuves à charge contre les victimes.

Le parti pris de la théâtralisation permet d’illustrer le pouvoir de la parole, le renversement des forces. La fascination des mots, manipulation désespérée, laisse les imaginaires à l’oeuvre. Ils convoquent l’idée même de la magie noire pour dire les visions comme autant de projections des fantasmes masculins. « Les Sorcières d'Akelarre » trace une parabole puissante de notre époque et nous enjoint à ne pas oublier.

Les Sorcières d'Akelarre, de Pablo Aguero
Avec Amaia Aberasturi, Garazi Urkola, Yune Nogeiras, Jone Laspiur, Irati Saez de Urabain, Lora Ibarra, Alex Brendemühl, Daniel Fanego
Sortie le 25 août 2021



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.