Lundi Librairie : Tous les noms qu'ils donnaient à Dieu - Anjali Sachdeva



A la fin du XIXème siècle, dans la région des monts Ozarks, Sadie, jeune albinos, vit isolée de tous, se protégeant du soleil en dormant le jour pour se réveiller la nuit. Zachary, un trappeur, s’est épris d’elle et l’a épousé. Parti travailler au loin pour une saison, il a laissé Sadie désespérément seule. Elle trouve une forme de réconfort dans l’exploration d’un mystérieux dédale de grottes situé sous leur maison. De nos jours, Linda vient de quitter Robert qu’elle trouvait trop prévisible. Il se console en compagnie de Terri rencontrée via une application, une histrionne qui l’embarque en randonnée dans la forêt. Au début du XXème, Henrick, un danois qui a perdu sa femme en couche, émigre à New York avec sa fille Effie. Employé modèle dans une aciérie, il survit à un terrible accident qui lui emplit les poumons de particules de verre. Désormais handicapé, chaque respiration pourrait lui coûter la vie. Jusqu’au jour où il accompagne sa fille, assistante d’un archéologue, en Egypte. Dans la vallée des rois, la fournaise du désert lui redonne vie. En 1670, John [Milton] s’en remet à sa muse angélique pour écrire son grand oeuvre, « Le Paradis Perdu », poème épique dans lequel le diable apparaît comme le plus fascinant des protagonistes.

Aujourd’hui, Robert Greenman, marin-pêcheur sur un chalutier, s’éprend d’une mystérieuse créature aperçue la nuit en mer. Mais la sirène n’a d’yeux que pour un requin et elle attire par son chant tous les poissons de l’océan afin de le nourrir. Gina, la fille cadette d’un riche propriétaire de mine atrabilaire, rêve d’échapper à sa famille. Elle imagine s’enfuir avec un mauvais garçon. Elle décide de mettre le grappin sur Michael, un employé de son père lié à lui par une dette de poker, en lui faisant miroiter une combine fumeuse. Au Nigéria, il y a quelques années, Promise et Adike encore adolescentes ont été kidnappées dans leur école par une milice islamiste. Terrorisées, abusées, battues, elles ont été mariées de force à leurs ravisseurs. Elles vivent sous le règne de la terreur jusqu’au jour où une femme leur transmet un mystérieux pouvoir occulte qui leur permet de contrôler l’esprit des hommes. Dans un futur proche, des extraterrestres ont conquis la planète Terre. Ces nouveaux maîtres, sorte de monticules gélatineux au contact mortel, laissent vivre les humains dans une quiétude relative. Ils n’exigent qu’une seule chose. Que les hommes abandonnent leurs mains au profit de prothèses métalliques. Une procédure indolore. Deux généticiens brillants ont donné naissance à sept fillettes à partir d’un seul ovule. Si les premières années ont été idylliques, peu à peu les petites filles dépérissent et meurent l’une après l’autre. A vingt-trois ans, Del la dernière survivante fait un ultime voyage vers le Pacifique en compagnie de Troy un autostoppeur. 

Dans ce tout premier recueil, Anjali Sachdeva a réuni neuf nouvelles d’une rare densité. Avec une maîtrise rare de l’art du conteur, elle déploie des univers foisonnants, créant en quelques pages des mondes d’une complexité fascinante. Au fil des pages, l’autrice sème des fables oniriques à mi-chemin entre le rêve et le cauchemar. Plume allègre, impitoyable, rythmique de haute précision et sens de la chute, elle s’essaie à divers genres, alterne les thématiques avec aisance. La nouvelle historique côtoie le réalisme contemporain le plus ancré dans notre temps. La science-fiction dystopique fait place au surnaturel mâtiné de mythologie. 

Anjali Sachdeva distiller la magie par touches subtiles, cultivent les décalages, autant d’éléments de surprise, les nuances du beau bizarre, l’étrange et l’étonnement, l’inquiétude jusqu’à l’effroi parfois. Hypnotiques, magnétiques, ces nouvelles prolifèrent sur un terreau d’inattendu fascinantes, cruelles, poétiques. L’autrice désigne le quotidien comme lieu du merveilleux, le familier comme celui de l’étrange. Scrutant les tragédies de la condition humaine, elle incarne par ces récits la puissance du destin, les traumas de notre monde actuel, les terreurs des imaginaires débridés. 

Elle s’attache à saisir les moments clés, les instants charnières où le destin des personnages bascule par le biais d’un choix révélateur, par hasard aussi souvent. Prises de conscience et questionnements existentiels, non-dits et désirs féroces. Elle pénètre les psychés, donne chair aux vies intérieures, fouille la psychologie. Les trajectoires contrariées de ses personnages nous parlent de nous-même. Ces intimités individuelles touchent à l’universel dans la révolte et la soumission, l’acceptation et la résilience. Un recueil de nouvelles époustouflant. Un écrivain est né.

Tous les noms qu'ils donnaient à Dieu - Anjali Sachdeva - Traduction Hélène Fournier - Editions Albin Michel - Collection Terres d’Amérique



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.