Paris : Sainte Geneviève au Pont de la Tournelle, une oeuvre de Paul Landowski - Vème


La statue de Sainte Geneviève placée sur la pile Sud du pont de la Tournelle protège la ville de sa silhouette massive. Cet hommage à la sainte patronne de Paris est l'oeuvre de Paul Landowski (1875-1961). Inaugurée en même temps que le nouveau pont en 1928, et malgré les quelques modifications réalisées, la statue mécontente fortement l’artiste. Des années plus tard en 1943, il en parle encore dans des termes peu flatteurs. « Et combien je me désole, quand en me retournant, j’aperçois cet affreux pilier de ma pauvre Sainte Geneviève ! ». Frustration d’un créateur pas entendu et blessure d’amour propre. La mésentente entre le sculpteur, les architectes et les commanditaires a fait couler beaucoup d’encre dans la presse en son temps. Petite histoire cocasse. 










Depuis le Moyen-Âge, le bras de Seine en amont de l’île de la Cité est traversé par des ouvrages en bois éphémère. Le premier pont en pierre date de 1654. Restauré, abaissé, élargi en 1847, le vieil ouvrage est fragilisé par la grande crue de 1910. Sa démolition est actée en 1918 afin d’améliorer le flux mais à condition de reconstruire un nouveau pont à cet emplacement. En 1923, un concours d’architecte lancé par la Ville de Paris distingue le projet des frères Pierre Guidetti (1878-1927) et Louis Guidetti. Ils imaginent une grande arche centrale encadrée de deux petites arches en plein cintre, un pont dont la structure de béton armé sera parée d’un appareillage de pierres. La plus grande modernité sous l’aspect d’un ouvrage classique. La dissymétrie volontaire, effet esthétique singulier, souligne la courbe naturelle du fleuve. L’arche sud enjambe la berge de la rive gauche tandis que l’arche nord immergée est accolée à l’île Saint-Louis. 

Au XXème siècle, les commanditaires du nouveau pont de la Tournelle se remémorent la légende de la patronne protectrice de Paris. Geneviève, fille d’un membre éminent du conseil municipal de la ville de Paris, naît vers 421/423 à Nanterre. Elle se fait remarquer très tôt pour sa foi. L’évêque de Paris l’ordonne « Vierge Consacrée ». En 451, Attila et les Huns franchissent le Rhin. Après le pillage de Metz, puis de Reims, ils se dirigent vers Paris. La population fuit et cherche refuge ailleurs. Geneviève exhorte les foules au courage. Elle prie jour et nuit pour sauver la ville. A la surprise générale, les Huns contournent Paris, vers Orléans. Miracle ! Ou grand désintérêt d’Attila pour la cité. Geneviève devient la sainte protectrice de la ville. En 855, à la suite d’une série d’invasions normandes sanglantes, sa châsse est déposée à la pointe de l’île Saint Louis. Les reliques sont censées défendre la ville des envahisseurs barbares. 











En souvenir des bienfaits de Sainte Geneviève, les édiles suggèrent d’installer une statue sur l’ouvrage. Les architectes proposent de placer cette oeuvre à l’extrémité du parapet amont, sur la rive gauche. L'administration désigne Paul Landowski afin de réaliser la sculpture. Artiste officiel de la Troisième République, auteur plus tard en 1931 du célèbre Christ Rédempteur de Corcovado à Rio de Janeiro au Brésil, il est connu pour sa souplesse et ses capacités d’adaptation. Au fil des nombreux projets d’oeuvres d’art public qu’il exécute, il a développé une conception plastique, synthèse de l'architecture, de la sculpture et de la peinture. Pour le pont de la Tournelle, il envisage une Sainte Geneviève drapée dans des lignes brutes. Elle place sous sa protection un enfant, symbole la Capitale, qui tient contre sa poitrine l’esquifs des Parisii, la nef du blason parisien. 

En 1925, l’artiste reçoit une maquette du pont afin d’adapter sa sculpture au socle. Les architectes ont dessiné un piédestal massif, haut de quatorze mètres, flanqué d’arcs-boutants néo-gothiques. L’ensemble paraît si monumental que la statue culminant pourtant à cinq mètres trente de haut, et pesant vingt-cinq tonnes, semble hors de proportions. En 1927, Paul Landowski réalise que selon les plans sa Sainte Geneviève sera placée à contrejour. Il demande que la chaste figure soit retournée vers l’Ouest, vers l’île de la Cité et Notre-Dame. La presse le soutient dans ses efforts pour faire accepter cette nouvelle configuration aux architectes. Les frères Guidetti protestent. Cette disposition irait à l’encontre de leur vision esthétique et romprait les effets de style de la composition. 

Le débat largement relayé dans les journaux s’enflamme. L’argument technique d’un déséquilibre des masses et des forces convainc l’administration. Elle tranche en faveur des Guidetti. Afin de ne pas alimenter la controverse, et malgré la mention de sa présence gravée sur la plaque commémorative de l’une des piles, le président de la république, Gaston Doumergue n’inaugure pas le pont le 19 juillet 1928. L’évènement est simplement annulé pour être reporté au 27 août 1928. 

Sainte Geneviève sur le pont de la Tournelle - Paris 5



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Guide des statues - Georges Poisson - Editions Hazan
Le guide du promeneur 5è arrondissement - Bertrand Dreyfuss - Editions Parigramme

Sites référents
Musée d'Orsay
paullandowski.fr