Lundi Librairie : L'esprit des vents - François Simon

 


Dans les années 1940, sur l’île chinoise de Qingdao occupée par le Japon, la communauté nippone mène une vie tranquille loin du tumulte de la guerre. Si les troupes militaires pillent et harcèlent sans vergogne les populations locales, les colons japonais vivent en bonne intelligence avec elles. Tateru, garçon rêveur qui parle aux esprits du vent, fils de Kanki, le gardien du phare, un soldat défiguré au combat et de la séduisante Keiko, fait la connaissance de Ryu, adolescent taciturne. Orphelin de mère, ce dernier suit son père Ryuchi, photographe itinérant, dans ses déplacements. Les deux adolescents nouent une amitié profonde. La tante de Tateru, l’intrépide Kazuko, cuisinière hors pair, les initie aux saveurs de l’huître. Ils rêvent de leur avenir mais la capitulation du Japon vient bouleverser leur vie. Contraints de quitter l’île, chassés violemment par les Chinois, les Japonais embarquent dans l’urgence sur des cargos en route pour leur terre natale. Hormis Kazuko qui souhaite farouchement rester, la famille de Tateru parvient à monter à bord du dernier navire. Ryu perd de vue son père dans la bousculade et ne le retrouvera pas. L’adolescent est recueilli par les proches de son ami. Ensemble, ils rejoignent le petit village de montagne dont ils sont originaires. Mais bientôt Kanki se donne la mort. Et Tateru gravement blessé à l’épaule doit se rendre à Tokyo pour se faire opérer, veillé par sa tante Minako, une jeune veuve. Ryu le rejoint en secret. Mais pour survivre, il fréquente les milieux interlopes où règne la pègre. Il fait la connaissance d’une maiko, une apprentie geisha, vendue par ses parents à une okiya. 

Critique gastronomique, incontournable chroniqueur des plaisirs de la chère, François Simon, écrivain, auteur de nombreux livres, signe son premier roman, un manuscrit mis de côté durant quatorze ans et finalement publié par les éditions Plon en 2019. « L’esprit des vents », traduction littérale du terme kamikaze, prend prétexte d’une amitié entre deux adolescents au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale pour déployer un flamboyant récit initiatique. 

Porté par un souffle épique, celui de la grande Histoire, auquel répond le petit vent vivace et têtu des destinées individuelles, le roman est imprégné d’une puissante mélancolie, parfois teintée d’un désespoir violent. Le contexte historique, la débâcle japonaise de 1945, les deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, la capitulation, le tribut à payer et l’honneur perdu, confronte les deux héros forcés de grandir brutalement à la terrible réalité de la déroute, la perte de l’innocence. Dans un pays dévasté, villes en ruines, Tokyo quasiment rasé par les bombardements, l’humiliation des vaincus renforce les traumatismes de la guerre. 

Plume aiguisée, style incisif qui ne boude pas un certain lyrisme, François Simon saisit des instantanés vivaces, redonne chair aux atmosphères si particulières. Sobriété élégante et envolées poétiques se côtoient,. La puissance d’évocation et le raffinement de la langue s'affirment comme autant d’hommages à la culture d’un pays qu’aime passionnément l’auteur. La sensorialité, la sensualité sont omniprésentes dans la description des couleurs, des odeurs, des saveurs. Le Japon s’incarne dans ses paysages, ses habitants et sa gastronomie. François Simon nous dit la splendeur de la nature, paradis originel, la mer comme la montagne. Ombre et lumière, grandeur et décadence, il rend compte du bouillonnement vital qui agite Tokyo se relevant de ses cendres. La renaissance passe par une transformation aussi terrible que radicale pour surmonter la misère, la faim, la violence de la présence occupante américaine. Un beau roman, une ode vibrante au Japon.

L’esprit des vents - François Simon - Editions Plon



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.