Axel, quadragénaire mène une vie sans histoires. Il est marié, à Anna d’une infinie patience. Ils ont deux enfants, un garçon, Tristan quatorze ans, une fille, Jade dix-sept ans. Ils habitent un pavillon avec piscine dans un lotissement tranquille où il est de bon ton d’organiser à dates fixes apéritifs et barbecues entre voisins, affinités ou pas. Axel tente tant bien que mal de se dépêtrer de ses petites névroses qu’engendrent la banalité d’une existence des plus normales. Mais les petites contrariétés se multiplient. Un couple d’amis qui les recrute d’office pour aller faire du paddle à Biarritz, une certaine idée de l’Enfer. Anna et Axel sont convoqués au lycée parce que Tristan a commis un dessin obscène mettant en scène deux professeurs. Jade, l’aînée vient de se faire plaquer par son petit copain. Elle supplie son père d’aller brûler un cierge afin que la fille qu’elle soupçonne de l’avoir dévoyé périsse défigurée et être ainsi assurée magiquement le retour de l’être aimé. Et puis un matin, il y a cette enveloppe bleue au courrier, marquée du logo du programme de dépistage du cancer colorectal, le genre de lettres envoyées automatiquement aux personnes de plus de cinquante ans. Empli de désarroi, Axel s’affole. Il n’a que quarante-six ans.
Entre burlesque et mélancolie, le romancier nous raconte l’histoire d’un quadragénaire d’une absolue normalité en pleine crise existentielle à la suite d’une lettre de l’assurance maladie. Sans véritable raison, il se laisse déborder par l’angoisse. A partir de ce moment troublant, chaque micro événements devient pour Axel un obstacle infranchissable. Déboussolé, ce grand gamin boudeur de presque cinquante ans se laisse ronger par un mal-être diffus, fruit d’un désenchantement profond. Il cherche à fuir la réalité en se projetant dans des obsessions ruminées en boucle.
Fabrice Caro embrasse la fantaisie du réalisme cocasse pour exposer les déconvenues de son anti-héros, frappé du grand malentendu des destinées sans gloire, le manque de sens du quotidien. Endossant la défroque du rôle, Axel tente tant bien que mal de mimer de l’adulte responsable, souvent avec beaucoup de mauvaise foi et une bonne dose de lâcheté. Somme toute, il préfère que sa femme se charge de gérer les navrants spectacles de fin d’année des enfants, les apéros contraints avec les voisins qu’on ne peut pas blairer, les vacances sportives assommantes. Il suivra. Ainsi que les quiproquos délicieux et les anxiétés désopilantes.
Sens de la chute, art du conteur, Fabrice Caro croque nos existences avec une ironie douce, une grande tendresse pour ses personnages. Sa fantaisie s’incarne dans un comique de situation piquant qui permet au lecteur de s’identifier à la banalité triviale de l’existence parfaitement normale d’Axel et Anna. En courts chapitres efficaces, l’auteur nous invite à rire de ce quotidien si familier, la déception après les grands rêves d’adolescence. Vieillir c’est renoncer, à la légèreté, à l’insouciance de la jeunesse. On ne sera jamais musicien de rock. On ne sortira jamais avec Lilas. Et Fabrice Caro transforme ces défaites en ressorts comiques exquis. Tandis que la crise environnementale explose, que la pandémie nous guette, que l’économie vacille, la dérision salvatrice nous permet de faire face à la fuite du temps. La vie n’est pas une comédie musicale américaine.
Broadway - Fabrice Caro - Editions Gallimard - Collection Sygne
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