Lundi Librairie : White - Bret Easton Ellis

 


Après neuf ans d’absence, Bret Easton Ellis, l’auteur de « Moins que Zéro », « American Psycho », « Lunar Park », revient avec un ouvrage non-fictionnel, son premier, recueil rédigé à la première personne, à la fois autobiographie, chronique de l’époque, réflexions sur le monde tel qu’il va et son parcours d’écrivain. Scénariste, réalisateur de série web, animateur de podcast, il s’est éparpillé sur des pistes variées avant de retrouver l’envie du livre. Désormais quinquagénaire moraliste, celui qui fut en son temps l’incarnation du jeune provocateur arrogant et nihiliste, brocarde le conformisme des millenials, la nouvelle génération ultra-connectée, hyper-consensuelles qui ne vit qu’à travers les réseaux sociaux. Au risque de passer pour un côté vieux con qui enrage devant la nouvelle génération. Si la nostalgie est prégnante, il s’érige en champion combattant le politiquement correct et scrute avec une acuité féroce ce monde contemporain qu’il surnomme « le post-empire ». 

La part autobiographique de « White » retrace en pages sincères et touchantes son enfance et son adolescence à Los Angeles, les traumas, les douleurs intimes, un père absent, des amis plutôt gosses de riches alors qu’il appartient à la classe moyenne, et puis ses goûts culturels formés dans les cinémas, la culture pop entre films d’horreurs et blockbusters. Au fil de ses réflexions personnelles, il tacle la réalisatrice Kathryn Bigelow, rend un hommage vibrant à Joan Didion, fantasme sur le Richard Gere d’« American Gigolo ».  

Bret Easton Ellis ouvre les portes de son processus créatif en livrant des considérations inspirées sur l’écriture. Il raconte la naissance de ses romans à la violence glacée, critique au vitriol de la société, qui ont dynamité le rêve américain. Il revient sur ses oeuvres phare, les plus provocatrices. Ce journal de bord ne fait pas l’impasse sur la difficulté d’un succès précoce - il a vingt-trois ans quand est publié « Moins que Zéro », vingt-sept pour « American Psycho » - alors que la critique l’éreinte sans relâche, s’acharne sur ses livres parce qu’ils font sauter les tabous. 

D’un ton désabusé, laconique, Bret Easton Ellis livre sa conception de l’existence et évoque avec force son incompréhension face à l’époque à cette jeunesse en prise avec l’autocensure quitte à renoncer à la liberté d’expression. Image de soi policée, affadie, sans saveur ni aspérité, le règne de la bienpensance, de la vertu de façade mène à lisser image comme discours, forme renouvelée d’hypocrisie. Il est question de plaire au plus grand nombre et d’engranger du like dans une quête frénétique de la célébrité. 

Bret Easton Ellis laisse transparaître son désarroi grinçant devant cet univers où il n’y a plus de place pour la provocation et le mauvais esprit voire même la sincérité. Les opinions personnelles sont bannies, il faut suivre le mouvement, se glisser dans le moule. Sur les réseaux sociaux, la transgression est interdite, les sensibilités faussement exacerbées. Au passage, il se moque du mouvement me too et provoque le scandale aux Etats-Unis. L’humour méchant, décalé, corrosif, acide soulève immédiatement des nuées de commentaires colériques, une rage sans objet faite d’invectives absurdes. C’est la dictature du progressisme, l’avènement d’un ordre des donneurs de leçon qui revendiquent leur supériorité morale, véritables nouveaux réactionnaires. Impossible d’émettre un avis divergent de celui du groupe, la positivité à tout crin, s’impose tel un nouveau fascisme.  

Inquiet devant la soumission volontaire aux communautarismes variés, Bret Easton Ellis dénonce la tendance à « la victimisation érigée en art ». Il rejette violemment les diktats identitaires, notamment de la communauté gay. Son attitude qui lui vaut une mise à l’écart, un bannissement. L'écrivain tempête contre la bienveillance simulée, le politiquement correct mielleux, le positionnement consensuel qui cache l’idéal matérialiste et narcissique de l’époque. « White » est un texte réjouissant même lorsque l’auteur fait des embardées superbes dans la mauvaise foi la plus complète. 

White Bret Easton Ellis - Traduction Pierre Guglielmina - Editions Robert Laffont - Edition de poche 10/18



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.