Nelly, écrivaine québécoise a connu un premier succès littéraire, en racontant sa vie de prostituée. Hantée par les blessures du passé, fragilisée par une dépression latente et la terrible image d’elle-même, elle peine à surmonter une rupture douloureuse. Elle écrit une longue lettre à l’amant qui l’a quittée, une lettre d’adieu pour se souvenir de leur relation, une dernière fois, et le confronter à sa lâcheté, son égoïsme. Lorsqu’elle avait quinze ans, Nelly a décidé de donner la mort pour ses trente ans, âge auquel elle estime que la beauté physique de la femme a atteint sa date de péremption. Avec autant de lucidité que d’amertume, elle raconte cette liaison par bribe de souvenirs au fil de sa mémoire. A Mont-Royal, quartier branché des noctambules à Montréal, Nelly rencontre un journaliste français, séducteur impénitent, accro à la pornographie, masturbateur compulsif. Flatté de la réputation sulfureuse de l’écrivaine, il l’entraîne dans une relation à la sexualité perverse, la jouissance malsaine. Riche d’un bagage intellectuel et universitaire qu’elle ne possède pas, il la renvoie à ses origines modestes et fait rejaillir ses complexes. Malgré son talent, ses succès d’écrivaine, Nelly, follement éprise, se sent inférieure à cet homme qui rêverait d’être un auteur reconnu mais est cantonné au journalisme. Désespérée de le retenir, Nelly s’implique dans un projet de livre commun, une oeuvre à quatre mains qui pourrait lui permettre d’accaparer un peu sa gloire à elle.
Nelly Arcan s’est suicidée en 2019. Le propos de « Folle » résonne terriblement, texte prémonitoire, tant le motif obsessionnel de la mort s’y inscrit en filigrane. Embrassant une nouvelle fois le principe d’autofiction, à la suite de son premier ouvrage « Putain » publié trois ans plus tôt en 2001, l’écrivaine décortique l’intime dans une crudité absolue, une sincérité sans fard. L’autrice se met à nue, se livre sans fausse pudeur, sans concession.
Récit autopsie d’une relation amoureuse, elle scrute, révèle, détoure dans les moindres détails l’échec de sa liaison. Des débuts séducteurs, à la déliquescence des rapports jusqu’à l’irrémédiable conclusion brutale, de l’abandon, Nelly Arcan s’engage dans une quête désespérée d’amour, un désir d’absolu soutenu par le fantasme de l’homme idéal, projection sans fondement. La conquête est une guerre menée contre l’autre pour l’accaparer, le vider de sa substance. La rencontre amoureuse, l’éblouissement se révèle pure illusion des possibles. Cette grande amoureuse vit sa passion comme un asservissement à l’être aimé, une folie devant laquelle, Nelly Arcan choisit de disparaître, perd pied et la raison. Elle dit la rancœur, la dureté de l’abandon, la colère dévastatrice, ne cache rien des humiliations, des pratiques sexuelles hardcore. Elle lance un long cri de douleur, complainte d’une écorchée vive.
Nelly Arcan, rongées par les angoisses existentielles, laisse libre court au flot des émotions. Elle montre comment les sentiments à sens unique procèdent en amont de névroses destructrices profondément ancrée. La souffrance psychologique infligée à soi-même et à l’autre s’incarne au gré des mots de ce chant d’amour, de désir et de mort dans lequel Thanatos prend le dessus sur Eros.
Porté par un style, une voix, le récit traduit la terrible urgence d’écrire, de vivre encore un peu avant le dénouement final. Plume affûtée, elle déploie sa litanie entre stridences et fulgurances. Le vertige des sens détraqués par les drogues, la jalousie féroce et les incertitudes creuse toujours plus grande cette immense douleur, la terreur de l’abandon, de la solitude. Détruite par la détestation de soi, Nelly est engagée dans une quête de perfection délétère. L’âge vécu comme une défaite, elle dénonce les injonctions à l’éternelle jeunesse, première victime des diktats esthétiques de la société, être torturé et lucide.
Le sexe, la pornographie, la marchandisation des corps et la violence qui leur est faite, le suicide, Nelly Arcan nous offre un livre bouillonnant, hypnotique et dérangeant d’une densité rare.
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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