Lundi Librairie : Le Charme des après-midi sans fin - Dany Laferrière



Le Charme des après-midi sans fin - Dany Laferrière : Dans les années 1960, à Petit-Goâve au Sud-Ouest de Port-au-Prince, Vieux Os, à peine treize ans, grandit sous le regard attentif de sa grand-mère qui l’élève seule. Da assise sur sa terrasse du 88 rue Lamarre observe la rue, sorte de sage du village. Toute la journée, elle boit à petites gorgées l’odorant café des Palmes, son favori, qu’elle dispense généreusement à ses visiteurs, embaumant tout le quartier. Ensemble, ils philosophent sur la vie, s’enquièrent des dernières nouvelles de la ville. Marquis, le vieux chien à moitié paralysé, paresse au soleil. Le matin le marché bruisse d’une activité pleine de vitalité. Les adolescents jouent au football et parfois se bagarrent entre écoles rivales. C’est le temps des premières amours. Vieux Os est si timide qu’il n’ose aborder la belle Vava et ses grands yeux si noirs. Heureusement il y a les amis, Frantz que les filles poursuivent de leurs assiduités bien malgré lui, Rico le fils de la couturière, Fifi la Tigresse qui se bat contre les garçons pour défendre son frère, Didi la cousine. L’après-midi sonne l’heure de la sieste et des rues rendues au silence. Le soir, les notables jouent aux échecs au salon de coiffure de Saint-Vil Mayard tandis que les plus jeunes se retrouvent sur la jetée. Un couvre-feu est soudainement décrété par la milice du président dictateur. Arrestations arbitraires, violences, disparitions, c’est la fin de l’innocence.

Livre autobiographique, roman initiatique, "Le Charme des après-midi sans fin" prolonge le propos de "L’Odeur du café", édité en automne 1991, et s’attache aux souvenirs d’adolescence de Dany Laferrière. Cinq ans après la disparition de Da en 1992, à l’âge de 96 ans, l’écrivain signe un dernier hommage en forme de déclaration d’amour à sa merveilleuse grand-mère, intelligence vive, finesse incarnée. A travers ce recueil d’instantanés savoureux, de saynètes délicieuses, il nous parle de la douce nostalgie d’un passé envolé, d’un pays à jamais changé. Il redonne chair au quotidien révolu de l’enfance avec un sens aigu du détail cocasse ou émouvant.

Dany Laferrière convoque le souvenir vibrant de la terre natale perdue. Il évoque son adolescence ensoleillée sous l’œil protecteur de sa bienveillante grand-mère, attentive à tout et à tous. Il dit les premiers émois, les émerveillements de l’enfance, la douceur de vivre mais aussi la douleur de la séparation et l’insouciance bientôt troublée. Langue limpide, verbe clair parcouru de fulgurances poétiques, le romancier trouve les mots justes, d’une grande sensibilité. 

Art du conteur, l'auteur peint des atmosphères par touches lumineuses et anime délicatement les belles figures qui peuplent les imaginaires adolescents. Il traduit à merveille l’ambiance de cette petite ville animée, s’intéressant à son organisation, la hiérarchie sociale et le rôle des notables. Il croque avec empathie, humour et une infinie tendresse une galerie de portraits savoureux. Izma, cuisinière hors-pair et le grand malheur de son enfant tuberculeux, le notaire Loné, à qui Da a préféré, quand elle était jeune, le grand-père de Vieux Os, mais qui lui a conservé une profonde tendresse, le docteur Cayemitte et le guérisseur Nég-Feuilles, Fatal le greffier, Nozéa la vieille sorcière, Thérèse et ses préparatifs de mariage en plein couvre-feu…

De retour à Petit-Goâve en 1997, trente ans après avoir quitté Haïti, Dany Laferrière laissent affleurer les beaux souvenirs avec un bonheur véritable. Néanmoins, il ne tait pas l’angoisse, la violence et la peur engendrée par les bouleversements politiques qui en une nuit de terreur renversent le cours des existences, l’intervention des troupes armées, les tontons macoutes de François Duvalier dictateur haïtien jamais nommé. Par le biais de son expérience personnelle, rendue universelle, Dany Laferrière nous raconte la beauté et la douleur de la condition humaine. Le passage de l’adolescence à l’âge adulte symbolisé ici par une tasse de café noir offerte au cœur d’une terrible nuit.

Le Charme des après-midi sans fin - Dany Laferrière - Editions Zulma



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.