Cinéma VOD : Un grand voyage vers la nuit, de Bi Gan - Disponible sur OCS jusqu'au 30 juin 2020


Après de longues années d’absence, Luo Hongwu, homme mystérieux qui se dit tueur à gages, revient dans sa ville natale de Kaili dont il a été chassé par un drame intime. Il est sur la trace d’une femme, dont le nom serait peut-être Wan Qiwen et qu’il n’a jamais pu oublier. Ex-épouse d’un membre éminent de la pègre locale tombé sous le charme de sa voix, elle avait été achetée par celui-ci à un petit malfrat. Depuis toujours, autour de la fatale Wan Qiwen, les hommes tombent. C’est en cherchant des réponses à l’assassinat de son ami d’enfance surnommé Le Chat que Luo a fait sa connaissance. Et s’en est profondément épris lui trouvant une ressemblance avec sa propre mère disparue dans des conditions étranges, alors que Luo était très jeune.







Oeuvre inclassable présentée à Cannes dans le cadre de la sélection Un certain regard, « Un grand voyage vers la nuit » fascine par sa beauté plastique, ses grandes ambitions formelles. Mais le film déroute également par une narration qui assume une filiation lumineuse avec la poétique surréaliste. Après « Kaili Blues récompensé à Locarno en 2015, le jeune réalisateur Bi Gan, tête d’affiche du nouveau cinéma d’auteur chinois, signe un deuxième long-métrage onirique à la virtuosité technique saisissante. Le cinéaste revient dans sa ville natale de Kaili de la région du Ghizou, au sud-est de la Chine pour y embrasse pleinement la géographie sensible de ses atmosphères de ruines équivoques, de lieux interlopes.

Cette enquête au cœur de la nuit et du souvenir, ceux de la jeunesse, ceux de l’amour perdu, d’une femme insaisissable, une ombre impalpable, se déploie sur une trame de polar classique laquelle se prête avec bonheur aux expériences esthétiques du cinéaste. L’époustouflant plan-séquence de près d’une heure en 3D, malheureusement pas rendue par la diffusion en VOD, bouleverse toutes les temporalités. Conteur halluciné, Bi Gan jette des sortilèges. Au gré des rencontres ambiguës, des évocations brumeuses, il sème des indices cryptiques. L’illusion puissante et immersive de cette oeuvre complexe plonge le spectateur dans un labyrinthe mental où les audaces plastiques égalent la finesse des inventions narratives.




Bi Gan diffracte la trame, morcelle le récit. Le temps se dilate avant d’exploser. Les scènes glissent, s’enroulent et s’enchaînent, contrées lointaines de l’inconscient. Au plan-séquence, le réalisateur oppose les ellipses temporelles dans un contraste formel aigu. Les déambulations oniriques suivent le flux de la pensé, rêve éveillé, fable énigmatique et mélancolique. Le film saisissant de beauté, itinéraire halluciné, distille une poésie lyrique vibrante. Les strates temporelles ré-agencées composent une vaste fresque où le réel fragmenté se superpose avec les éléments du rêve, temps et espaces abolis, réminiscences violemment correctrice. Ces interventions de l’inconscient plongent dans la psyché des personnages à l’instar d’un processus d’écriture automatique.

Le cinéaste funambule ponctue la narration d’éléments clé signifiants, images presque subliminales et récurrentes d’objets insolites. Au cours de la quête hallucinatoire d’un homme blessé par l’amour et hanté par son passé de truand, les lieux étranges se multiplient, restaurant aux murs lépreux, établissements interlopes, marché illuminé sous la pluie, ancienne prison vouée à la démolition, trains qui s’éloignent, mines désaffectées mais habitées.

Rêve et réalité intimement intriqués, il ne reste plus qu’à se laisser envelopper par la poésie et renoncer à tout comprendre. 

Un grand voyage vers la nuit, de Bi Gan
Avec Tang Wei, Huang Jue, Sylvia Chang, Lee Hong-Chi, Zeng Meihuizi
Sortie le 30 janvier 2019
Disponible sur OCS jusqu’au 30 juin 2020



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.