Intense et prolifique, Pablo Picasso (1881-1973) a confié à la postérité près de 50 000 œuvres dont 885 peintures, 1 228 sculptures, 3 181 impressions linoléum, 6 112 lithographies, 7 089 dessins. S’il a terminé sa vie dans le Sud de la France, c’est à Paris que son génie a pris toute son envergure. Son oeuvre apparaît, de nos jours, étroitement liée à la ville, où il devient Picasso, l’un des plus importants artistes du XXème siècle. Paris source d’inspiration, lieu de rencontres essentielles, de découvertes déterminantes, a marqué le travail de cette grande figure. De ses premiers séjours, jeune artiste sans le sou embrassant la vie de bohème à Montmartre et Montparnasse, jusqu’à son établissement définitif au sein de la Ville Lumière, Pablo Picasso a traversé les quartiers parisiens pour en saisir l’esprit, la vitalité comme les déshérences. Fruits de ses observations, les toiles entament un dialogue à travers les périodes stylistiques de l’artiste, illustrent les réflexions plastiques, interrogent les évolutions picturales. Paris selon Picasso, ses habitants, son architecture, ses paysages urbains, se révèle sujet d’une variété infinie, thématique sans cesse renouvelée par la réinvention de la forme.
1900 Au Moulin de la Galette |
1901 Au café |
1901 Brasserie à Montmartre |
1901 Atelier 130 ter boulevard de Clichy |
1901 Au Moulin Rouge - La Fille du roi d'Egypte |
1901 Boulevard de Clichy |
1901 Les soupeurs |
1901 Les soupeurs |
Pablo Diego Jose Francisco de Paula Juan Nepomuceno Maria de los Remedios Cipriano de la Santisima Trinidad Ruiz y Picasso, né le 25 juin 1881 à Malaga, en Andalousie, manifeste précocement un talent pour le dessin et la peinture. Sa formation académique à Barcelone l’amène en 1900 à représenter l’Espagne à l’Exposition Universelle de Paris avec le tableau « Les Derniers moments ». Il a tout juste dix-neuf ans et débarque en ville par la gare d’Orsay inaugurée peu de temps auparavant, en compagnie de son grand ami Carlos Casamegas. Le peintre Isidre Nonell les invitent à s’installer avec lui dans son atelier montmartrois au 49 rue Gabrielle. Ensemble, ils découvrent à la fois les nuits mouvementées de Montmartre et le travail de Henri de Toulouse-Lautrec, de Paul Cézanne, de Paul Gauguin.
Pablo Picasso fait la connaissance de Pedro Mañach, industriel catalan et marchand d’art immédiatement séduit par le travail du jeune artiste. Il devient son mécène et lui octroie par contrat une rente de cent-cinquante francs par mois pour subvenir à ses besoins. Pablo cesse d’être dépendant de l’aide financière que lui accordait Carlos Casagemas. Les deux amis fréquentent les cabarets de la Butte, le Moulin de la Galette rue Lepic et le Moulin Rouge au 82/90 boulevard de Clichy qui inspirent des œuvres à Picasso. En quête de moyens de subsistance, il réalise des œuvres de commande et vend quelques pastels à des amateurs. Pedro Mañach introduit Picasso auprès de la galeriste et collectionneuse Berthe Weill qui lui achète trois scènes de tauromachie. Elle sera la première à vendre des toiles de Picasso à Paris. Mañach devient ainsi le premier courtier de l’artiste.
1901 La Buveuse d'absinthe à Paris |
1901 La buveuse d'absinthe |
1902 Au cabaret |
1903 Homme et femme dans un café |
1904 place Emile Goudeau |
1904 Atelier du Bateau Lavoir |
Pablo Picasso rentre à Barcelone en décembre 1900. Le 17 février 1901, Carlos Casagemas se suicide d’une balle dans la tête au Café de l’Hippodrome boulevard de Clichy après avoir tenté de tuer sa maîtresse infidèle. La mort de Casagemas blesse profondément Picasso. Cet évènement tragique inspire le début de la Période bleue (1901-1904) durant laquelle l’artiste s’attache à peindre avec empathie la misère, le malheur et la déchéance des classes populaires, les danseuses de cabaret au teint verdâtre, les alcooliques neurasthéniques dans les bars, les nécessiteux, les prostituées. Le climat de révolte sociale inspire les thématiques tandis qu’il s’inscrit picturalement dans la prolongation du post-impressionnisme et du symbolisme.
De retour en France en mai 1901, Picasso s’installe lors de son second séjour à Paris au 130 ter boulevard de Clichy. Pedro Mañach lui réserve une pièce de son propre domicile.
Logé durant quelques mois, Picasso vend des dessins qu’il signe Ruiz à des périodiques humoristiques. En juin 1901, il rencontre par l’entremise de Mañach le galeriste Ambroise Vollard. L’entregent de ce dernier va permettre à la carrière du peintre de prendre de l’ampleur. Néanmoins, Picasso restera très proche de Pedro Mañach jusqu’au bout. A cette époque de sa vie, il abandonne le nom de son père, Ruiz, et signe désormais exclusivement du nom de jeune fille de sa mère, Picasso.
Du 25 juillet au 14 juillet 1901, la galerie Vollard située au 6 rue Laffite présente conjointement le travail de Pablo Picasso et Francisco Iturrino. Picasso fait la connaissance de Max Jacob qui devient l’un de ses plus fidèles amis. En octobre, 1902, Pablo Picasso fait un bref retour à Barcelone avant de rejoindre de nouveau Paris. Jeune débutant fauché, il partage une chambre misérable avec Max Jacob au 150 boulevard Voltaire. Ils y dorment à tour de rôle, le poète la nuit, le peintre le jour. Berthe Weill organise plusieurs expositions majeures dédiées à la période bleue de Picasso. Du 15 novembre au 15 décembre 1902, il participe à une exposition de groupe à la galerie Weill. En janvier 1903, Picasso repart à Barcelone.
Au début de l’année 1904, il s’installe définitivement en France. Très lié avec le groupe d’artistes espagnols de la Butte, il expérimente la bohème montmartroise. En avril, Picasso rejoint le Bateau-lavoir, célèbre cité d’artistes entre la rue Ravignan et la place Emile Goudeau, et reprend l’atelier laissé vacant par Paco Durrio. Il rencontre sa future compagne Fernande Olivier, Guillaume Apollinaire, André Salmon, Amadeo Modigliani. En compagnie de ses voisins d’atelier Juan Gris, Kees Van Dongen, André Derain, Maurice de Vlaminck, il fréquente les cabarets de Montmartre comme Le Lapin Agile au 22 rue des Saules ainsi que les nombreux cafés. Au Café Zut, 4 place Jean Baptiste Clément (anciennement 28/30 rue Ravignan) tenu par Frédéric Gérard, futur patron du Lapin Agile, Picasso peint les fresques murales de l’établissement.
Il devient un habitué du Café au Téléphone 68 rue Lepic, du Café Boussarat / Hôtel du Tertre 1/3 rue du Mont Cenis, du Café du Grand Hôtel des Deux hémisphères 79 rue des Martyrs ou encore Le Consulat d’Auvergne 18 bis rue Norvins. Il déjeune Chez Azon au Café Aux Enfants de la Butte 12 rue Ravignan, Chez Vernin au 8 rue Cavallotti ou encore à la Brasserie Wepler place de Clichy.
1905 Au Lapin Agile - Arlequin avec verre |
1905 Famille d'acrobates |
1907 Les Demoiselles d'Avignon |
1909 Atelier 11 boulevard de Clichy |
Débute alors la Période rose (1904-1906) de Picasso, une série de toiles à la tonalité plus claire, au propos moins sombre, marquée par des inflexions maniéristes. Le jeune artiste fréquente assidument le cirque Médrano au 63 boulevard Rochechouart. Les artistes l’inspirent. Il peint des arlequins, des acrobates, des écuyères. A cette époque, il expérimente ses premiers essais de gravure.
En 1905, du 25 février au 6 mars, Pablo Picasso expose à la galerie Serrurier. En automne de cette même année, les mécènes Léo et Gertrude Stein séduits par son travail, achètent leur premier Picasso, « Fillette au panier de fleurs » auprès de la galerie Clovis Sagot. La rencontre est fructueuse pour Picasso. En mars 1906, Antoine Vollard achète la plupart des toiles de la période rose. Gertrude Stein présente Matisse à Picasso lors de l’hiver 1906. Les deux artistes nouent une relation complexe, amitié faite de respect et de rivalité
Picasso expérimente alors une rupture stylistique et conceptuelle, une forme proto-cubisme. Il réalise « Les Demoiselles d’Avignon » représentant une maison close barcelonaise située dans la carrer d’Avinyò. Le tableau fait scandale, non pas son sujet mais par le traitement des formes. Incomprise la toile ne sera acquise qu’en 1939 par le MoMa de New York. Avec Georges Braque, Pablo Picasso mène une recherche sur la géométrisation radicale des formes qui donne naissance au mouvement cubiste, période qui durera de 1907 à 1914 pour l’artiste andalou. Au début été 1907 Daniel-Henry Kanhnweiler (1884-1979) collectionneur et marchand d’art, futur promoteur du cubisme, rend visite aux peintres du Bateau-Lavoir. Il est fasciné par la progression de ce nouveau mouvement et lui consacre une place importante au sein de sa galerie 27 rue Vignon.
De retour à Paris en septembre 1909, après un séjour à Barcelone, après que Fernande Olivier l’ait quitté, Picasso s’installe au 11 boulevard de Clichy dans un atelier de l’impasse Frochot plus confortable que celui du Bateau Lavoir où il retourne pourtant fin 1911. Cette année est mouvementée. En juin, Picasso est interrogé par les autorités dans le cadre de l’affaire du vol de la Joconde. Craignant d’être expulsé, il va jusqu’à nier connaître son grand ami Guillaume Apollinaire. Mis hors de cause, Picasso s’échappe en juillet pour le village de Céret, Catalogne française, où Braque le rejoint pour travailler. Picasso rentre à Paris en septembre 1911, mais il est le grand absent de la salle dédiée aux Cubistes du Salon d’automne qui débute le 1er octobre.
1912 Atelier 242 boulevard Raspail |
1915 Atelier 5 rue Schoelcher |
12 août 1916 Série photographiée par Jean Cocteau devant La Rotonde Manuel Ortiz de Zarate, Henri-Pierre Roché, Marie Vassilieff, Max Jacob et Pablo Picasso |
1916 Manuel Ortiz de Zarate, Max Jacob, Moïse Kisling, Pâquerette et Pablo Picasso |
1916 Amadeo Modigliani, Pablo Picasso et André Salmon |
1916 Le peintre Moïse Kisling, l’actrice Pâquerette et Pablo Picasso |
1917 Atelier de Montrouge |
En mai 1912, l’artiste débute une série d’aller-retours entre Paris et le Sud de la France, Céret, Avignon, Sorgues. En ville, il déménage vers Montparnasse quartier symbole du renouveau artistique et intellectuel. Il s’installe dans un atelier au 242 boulevard Raspail, Cité Nicolas Poussin en compagnie d’Eva Gouel. Les cafés du boulevard du Montparnasse sont une mine d’inspiration pour le peintre. Au numéro 99 se trouve Le Sélect, au 102 La Coupole, au 103 La Rotonde, au 108 Le Dôme.
Le 10 octobre 1912, la galerie La Boétie située au 64 bis rue La Boétie organise l’exposition cubiste de la Section d’or où se retrouvent les figures majeures du mouvement, Georges Braque, Pablo Picasso, Fernand Léger, Juan Gris, Francis Picabia, Marcel Duchamp, Robert Delaunay, Sonia Delaunay. Picasso et Kahnweiler signent un contrat le 18 décembre 1912.
Peu de temps après, en 1913, le peintre change d’atelier et prend ses quartiers au 5 bis rue Schoelcher où Jean Cocteau pose en Arlequin. Mais Eva décède en 1915 de la tuberculose. Alors que la Première Guerre Mondiale fait rage, Picasso se rend à Rome avec Cocteau. Il se lie avec Serge Diaghilev pour qui il réalise les décors des ballets russes et séduit par la même occasion la danseuse Olga Khoklova qui deviendra sa femme en 1918. De retour en France, il occupe une maison-atelier à Montrouge où il vit avec Olga de 1917 à 1918. Du 23 janvier au 15 février 1918, la galerie Paul Guillaume organise une exposition Picasso / Matisse.
1919 Atelier rue de la Boétie |
1919 Nature morte devant une fenêtre donnant sur l'église Saint Augustin |
1919 Vue sur le clocher de l'église Saint Augustin |
1919 Vue sur le clocher de l'église Saint Augustin |
1920 Atelier rue de la Boétie |
1920 Fenêtre ouverte sur la rue de Penthièvre |
1929 Atelier rue de la Boétie |
1936 Atelier de Tremblay en Mauldre |
1937 Guernica |
1940 Atelier du 7 rue des Grands Augustins |
Le marchand d’art Paul Rosenberg trouve au couple Picasso un appartement au 23 rue de la Boétie tout proche de sa galerie au numéro 21. En 1930, c’est au numéro 44 que Pablo Picasso aménagera en secret un appartement pour sa maîtresse, Marie-Thérèse Walter. En 1936 à la suite de sa séparation avec Olga, Picasso s’établit quelques mois avec Marie-Thérèse et Maya au Tremblay-sur-Mauldre dans une maison près de Paris prêtée par Ambroise Vollard.
Dora Maar rencontrée en 1936, trouve en 1937 un nouvel atelier plus vaste au 7 rue des Grands-Augustins, dans l’ancien hôtel de Savoie. L’atelier de Pablo Picasso occupe les deux derniers étages de l’hôtel particulier jusqu’en 1956. Il y peint « Guernica » au début de la Guerre d’Espagne pour commémorer l’horreur du bombardement de la petite ville de Guernica par l’aviation allemande et italienne, à la demande des forces nationalistes le 26 avril 1937. L’oeuvre est présentée à l’occasion de l’Exposition Universelle de Paris de 1937. La même année Pablo Picasso demande à l’Etat français une naturalisation qui lui est refusée. Profondément blessé, il ne réitérera pas cette démarche pour obtenir la nationalité française.
1943 Square du Vert-Galant |
1944 Notre Dame de Paris |
1944 Notre Dame de Paris |
1944 Notre Dame de Paris |
Notre Dame 1945 |
Notre Dame 1945 |
Notre Dame 1945 |
Notre Dame 1945 |
14 juillet 1945 Notre Dame |
25 octobre 1954 |
1957 |
De 1939 à 40, au début de la Seconde Guerre Mondial, Pablo Picasso pose ses valises à Royan et installe son atelier villa des Voiliers avec Marie-Thérèse et Dora. Mais bientôt il rejoint à Paris, le 7 rue des Grands Augustins. Chaque jour en sortant de son atelier, il débouche sur les quais de Seine. Ce paysage urbain entre le square du Vert-Galant, l’île de la Cité et la cathédrale Notre-Dame de Paris lui inspire une double série d’œuvres entre le printemps 1944 et la fin d’hiver en 1945. Les compositions construites en puissants réseaux géométriques laissent transparaître l’angoisse ressenti par l’artiste vis à vis d’une possible destruction de la ville. En mai 1944, il peint un tableau dans des tons plus chaleureux, Notre-Dame sous l’angle du Pont Neuf en mai 1944 depuis le square du Vert-Galant. Picasso conservera cette toile dans sa collection privée jusqu’à la fin de sa vie. Bientôt, Paris est sauvée, la débâcle allemande débute. Fin février 1945, les représentations de la ville que propose Picasso s’apaisent.
Au lendemain de la guerre, l’artiste choisit de s’éloigner de Paris. A partir de 1946, il passe de plus en plus de temps sur la Côte d’Azur, Vallauris, Aix-en-Provence, Vauvenargues, Mougins en Provence. De 1951 à 1954, lorsqu’il est à Paris, Picasso habite une maison au 9 rue Gay Lussac. Elle la quitte définitivement en 1967. Son atelier de la rue des Grands Augustins devenu un lieu emblématique de l’histoire des arts à Paris, bien que délaissé est demeuré intouché depuis dix ans. En 1967, Pablo Picasso est expulsé par la Chambre des Huissiers propriétaire du bâtiment. Au moment où le Grand Palais lui consacre une rétrospective d’envergure organisée pour son 85ème anniversaire, l’artiste est contraint de vider les lieux. Picasso ne reviendra plus travailler à Paris. Il s’éteint dans sa propriété de Mougins le 8 avril 1973.
Au croisement des boulevards Raspail et du Montparnasse et de la rue Delambre, le carrefour Vavin du côté de Montparnasse porte le nom de place Pablo Picasso depuis 1984. Un plus juste hommage lui est rendu par le beau Musée national Picasso inauguré au sein de l’hôtel Salé dans le quartier du Marais en octobre 1985.
Les ateliers parisiens de Pablo Picasso
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Bibliographie
Le nouveau dictionnaire Picasso - Pierre Daix - Editions Robert Laffont collection Bouquins
Sites référents
Enregistrer un commentaire