La Nuit du Chasseur - Davis Grubb : Honnête homme poussé à la violence par le désespoir de ne pouvoir subvenir aux besoins de ses enfants, Ben Harper est condamné à la pendaison à la suite d’un braquage qui a mal tourné. Jusqu’au dernier moment, il refuse de révéler où se trouve le butin. Il meurt sans avoir révélé sa cache, ni au juge, ni à son avocat, ni à sa femme, ni même à cet étrange codétenu, Harry Powell, dit Prêcheur, prédicateur illuminé, homme inquiétant aux phalanges tatouées, LOVE et HATE. John, le fils de neuf ans de Ben Harper, qui, avec sa petite sœur Pearl, a assisté à l’arrestation de son père pourrait bien détenir la clé du secret. A sa sortie de prison, Harry Powell, aiguillé par sa convoitise, entreprend de séduire Will Harper, la veuve éplorée. Et Prêcheur n’en n’est pas à son coup d’essai. D’autres ont été victimes de ce prédateur qui dissimule son véritable visage sous le masque d’une foi inflexible afin de s’accaparer les biens de ces femmes fragiles et de les tuer. Willa, naïve, tombe rapidement sous sa coupe tandis qu’hors du regard des adultes, il harcèle les deux enfants pour obtenir des réponses.
« La Nuit du Chasseur » est l’unique roman de Davis Grubb, adapté à l’écran par Charles Laughton, dont ce sera à son tour le seul film, avec Robert Mitchum dans le rôle du prêcheur criminel. Histoire librement inspirée d’un authentique fait divers, l’affaire Harry Powers, un tueur en série de veuves, ce récit angoissant emprunte tous les codes du thriller combinés à ceux de la fable sur la fin de l’enfance. La poursuite, l’affrontement entre le prédateur et les deux enfants procède du motif classique de l’ogre traquant les petits pour les dévorer. Davis Grubb embrasse le modèle du conte initiatique cruel pour nous parler des terreurs enfouies, de la cruauté du monde des adultes, de l’omniprésence du Mal sous des apparences séduisantes. Tout au long du récit haletant, angoissant, l’auteur distille la terreur en traduisant la confusion des enfants persécutés par un monstre, en rendant sensible l’angoisse éprouvée par John.
Dans une langue poétique pas dépourvue d’un certain lyrisme, Davis Grubb traduit la touffeur des atmosphères du Sud profond des Etats-Unis. L’histoire qui se déroule en Virginie Occidentale procède du genre Southern Gothic largement exploité par William Faulkner, Flannery O’ Connor. Par la crudité d’un face à face oppressant, la description d’une fuite effrénée à travers la Virginie dévastée par la crise, l’auteur interroge la société et parcourt les éléments clés de la culture américaine.
La Grande Dépression marque la résurgence du puritanisme. Le fanatisme religieux devient un refuge illusoire. Davis Grubb peint un tableau terrible des Etats-Unis plongés dans un contexte de crise économique, engendrée par le krack boursier de 1929. L’explosion du chômage et la véritable misère frappent durement la population. Personne ne s’émeut de voir des enfants errants seuls sur les routes. Ben Harper acculé par les dettes, sans être foncièrement mauvais, en est réduit aux extrémités les plus tragiques. Face à cette figure émouvante et pathétique du père contraint au mal par désespoir, l’inquiétant prédicateur qui se prétend guidé par Dieu incarne le pire. Armé du pouvoir des mots, il exerce une séduction, un charme vénéneux, expert en manipulation. Il dissimule sa violence, sa cupidité, derrière l’intransigeance d’un fanatisme religieux. Face à ce psychopathe, le petit garçon, John fait preuve d’une maturité et d’un instinct de survie qui manque à sa mère. Fascinant, terrifiant, à lire absolument !
La Nuit du Chasseur - Davis Grubb - Traduction Guy Le Clech - Editions Bourgeois - Edition de poche Folio Policier
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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