Expo Ailleurs : Marcel Gromaire (1892-1971), l'élégance de la force - La Piscine Roubaix - Jusqu'au 31 mai 2020 (à confirmer)



Peintre humaniste, engagé, Marcel Gromaire (1892-1971) a dédié son existence de peintre à la quête d’une nouvelle figuration détachée des courants classiques. Proche de Matisse et de Fernand Léger, il retient  les leçons de la modernité pour nourrir son art des expérimentations du cubisme et des compositions de Paul Cézanne. L’expressionnisme flamand, les primitifs romans et gothiques l'inspirent mais il n’appartient à aucune école, aucun groupe. A la marge, Marcel Gromaire revendique un statut d’autodidacte indépendant. Après une escale au musée Eugène Boudin à Honfleur, puis au musée Paul-Valéry à Sète, la Piscine de Roubaix s’annonce comme la troisième et dernière étape d’une exposition monographique itinérante dédiée à cet artiste injustement méconnu. Des premières toiles jusqu’aux dernières années, le vaste panorama a été rassemblé grâce aux prêts provenant de prestigieuses collections publiques et privées. Peintures, dessins, aquarelles, gravures, estampes, tapisseries, la rétrospective réunit 150 œuvres. Elles illustrent la diversité des techniques et des thématiques. Les toiles de jeunesse dont son tableau le plus célèbre "La Guerre" présenté au Salon des indépendants en 1925 sont marquées par le traumatisme fondateur de la Première Guerre Mondiale. Scènes sociales, paysages du Nord et perspectives urbaines, vie rurale et effervescence industrielle, portraits énergiques et nus naïfs, traduisent une préoccupation sociétale et la recherche d’une forme de réalisme social teinté dans son expression plastique de primitivisme. Marcel Gromaire peuple ses tableaux de figures sculpturales, personnages mystérieux dont les visages impassibles convoquent la puissance des masques africains tandis que la schématisation des traits évoque l’art du vitrail. A la Piscine, les chefs-d’œuvre les plus connus, les créations peu exposées et les toiles inédites se côtoient en un vaste corpus qui met en lumière les multiples facettes de Marcel Gromaire. 











Iconographie figurative, lignes sévères du dessin et coup de pinceau expressif définissent une oeuvre puissante. L’exposition « Marcel Gromaire, L’élégance de la force » s’ingénie à décrypter les racines, les sources de son inspiration. Né en 1892 à Noyelles-sur-Sambre, village voisin du Cateau-Cambrésis où Matisse a vu le jour, Gromaire s’installe avec sa famille à Paris, où son père enseigne au lycée Buffon. Il passe son baccalauréat en droit. Dès 1910, Marcel Gromaire fréquente les ateliers de Montparnasse et à 19 ans, il abandonne ses études pour se consacrer à la peinture. Appelé sous les drapeaux en 1912, il est mobilisé lors de la Première Guerre Mondiale. Blessé en 1916, il revient à Paris à partir de 1919 où il écrit un temps pour le Crapouillot comme critique de cinéma. Il fait la connaissance du docteur Maurice Girardin en 1920 qui devient son mécène, soutient sa création et l’expose. 

Marcel Gromaire s’installe Villa Seurat en 1925 où il rencontre Jean Lurçat. La même année, à la suite de son succès au Salon des Indépendants, il devient professeur à l’atelier de l’Académie Scandinave. Peu à peu son rayonnement intellectuel grandit.  Une grande exposition lui est consacrée en 1933 au Kunsthalle de Bâle en Suisse. Il participe à l’Exposition internationale de 1937. Mandaté par l’Etat, il réalise le décor du pavillon de la Manufacture de Sèvres. De 1939-1941, à Aubusson en compagnie de Jean Lurçat, ils participent à la renaissance des arts de la tapisserie. 

Nommé professeur à l’Ecole Nationale des Arts décoratifs en 1950, il compte parmi ses élèves, Louise Bourgeois. Il entame une série de voyage aux Etats-Unis où il reçoit en 1952 le prix Carnegie distinction qui participe de sa renommée internationale. Les grandes expositions au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1963 et au Musée des Beaux-Arts de Lille en 1966 assoient sa réputation. Mais une longue maladie l’emporte en 1971 et son oeuvre depuis est retombée dans un relatif oubli.











L’exposition ambitieuse a été rendue possible grâce aux prêts de la Galerie de la Présidence, du Musée d’Arts Moderne de la Ville de Paris qui a accueilli en 1953 le legs du docteur Maurice Girardin, le Musée d’art moderne de Troyes dont les collections ont été enrichies grâce à la donation Pierre et Denise Lévy en 1954, ainsi que de prestigieuses collections privées. 

Peintre du nord, conseillé à ses débuts par Matisse, Marcel Gromaire a développé une palette chromatique particulière. L’austérité des teintes terreuses est illuminée de grands aplats de bleu, de rouge, de vert. Il interprète la lumière et les couleurs. La puissance géométrique des volumes donne à son vocabulaire plastique une efficacité vigoureuse. Les masses sculpturales traduisent à la fois le mouvement et la stabilité. La simplicité expressive des œuvres de Gromaire, simplification des formes empruntée au cubisme sans aller jusqu’à l’éclatement de la figuration, est contrebalancée par la saturation des compositions, le foisonnement et l’absence de vide. 












Le souffle lyrique d’un art en tension révèle une élégance plastique qui induit un subtil décalage avec la réalité. Marcel Gromaire choisit de conserver la perspective traditionnelle synonyme de fidélité au naturalisme. Son réalisme s’affranchit néanmoins des règles classiques. L’exposition met en lumière le caractère novateur de la démarche et la puissance de son humanisme. La scénographie souligne avec intelligence l’évolution de l'artiste et l’affirmation progressive d’un style personnel. 

Au-delà de la démarche plastique, Marcel Gromaire se fait sociologue et témoigne des évolutions de la société. Marquée par la terrible expérience des tranchées, son travail est empreint d’un profond humanisme. Son répertoire fourmille de travailleurs agricoles, d’ouvriers. Il s’intéresse particulièrement au prolétariat issu de l’industrialisation et de l’urbanisation. Solitaire méditatif, penseur rigoureux, ses préoccupations sociales rendent compte de la condition humaine à travers les motifs récurrents d’un quotidien industrieux. 











Au fil de l’exposition se dévoilent les oeuvres incontournables représentant le monde interlope des nuits parisiennes, "La Partie de carte" (1925), "Place Blanche" (1928), "Girls" (1929). Marcel Gromaire laisse s’exprimer un goût certain pour les nus féminins peints en atelier qui exprime une rude sensualité pas exempte d’une certaine âpreté.

Ses tableaux mettent en scène l’avènement de l’ère des loisirs, celle des congés payés. Le premier voyage aux Etats-Unis en 1950 marque une évolution de la palette et des formes qui acquièrent une souplesse inédite sans perdre la fermeté du dessin.  











Pour les ateliers d’Aubusson, Marcel Gromaire créée des œuvres monumentales, des cartons impressionnants qui contribuent par leur modernité à la renaissance de l’art de la tapisserie.  Sur toile, il s’attache à renouveler sa vision du paysage, avec des perspectives urbaines frappantes, "New York Brooklyn Bridge" (1950), "Paris Notre-Dame" (1956). La minutie de l’exécution valorise le dessinateur rigoureux qu'est Marcel Gromaire. Illustrateur de talent, il intervient sur des ouvrages de Baudelaire et Shakespeare. La collection unique de gravures concédée à la Piscine de Roubaix par la famille de l’artiste en 2017 est exposée dans un module à part intitulé "Les Gromaire de la Piscine" et qui fera l’objet d’un prochain article. 

Marcel Gromaire (1892-1971) L’élégance de la force 
Jusqu’au 31 mai 2020 (à confirmer)

La Piscine - Musée d'art et d'industrie André Diligent de Roubaix
23 rue de l’Espérance - 59100 Roubaix
Tél : 03 20 69 23 60
Horaires : du mardi au jeudi de 11h à 18h, le vendredi de 11h à 20h, le samedi et le dimanche de 13h à 18h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.