Le Fait du prince - Amélie Nothomb : Au cours d’un dîner mondain, l’un des convives donne un curieux conseil à Baptiste Bordave. « Si un invité meurt inopinément chez vous, ne prévenez surtout pas la police. Appelez un taxi et dites-lui de vous conduire à l’hôpital avec cet ami qui a un malaise. Le décès sera constaté en arrivant aux urgences et vous pourrez assurer, témoin à l’appui, que l’individu a trépassé en chemin. Moyennant quoi, on vous fichera la paix. » Hasard, coïncidence, le lendemain, un inconnu prétextant une panne de voiture, frappe à sa porte pour lui emprunter son téléphone et appeler un garagiste. A peine entré, le type s’effondre, raide mort. Baptiste, plutôt que de suivre les instructions de la veille, décide de ne pas alerter les autorités. Plus étrange encore, il retrouve la Jaguar du défunt, parvient à la faire démarrer et rejoint l’adresse indiquée sur les papiers, une belle villa à Versailles. Baptiste s’installe dans la vie luxueuse du mystérieux Olaf Sildur sans que l’épouse de ce dernier, longue créature ne se nourrissant que de champagne, s’en émeuve vraiment.
Dans ce conte pour adulte sur le thème de l’usurpation d’identité, Amélie Nothomb manie l’absurde et la démesure avec malice. L’intrigue loufoque ne cherche jamais la crédibilité. Ici le pur fantasme de l’imagination à l’oeuvre embrasse pleinement le joyeux « et si… ». Cette comédie surréaliste, fable décalée, s’empare de la fiction des vies ordinaires, pour les faire basculer dans la fantaisie cathartique des désirs refoulés, les contrées vierges à conquérir. L’inversion des valeurs, cette moralité fluctuante des personnages confèrent un charme saugrenu au récit, un humour décalé, une acidité délectable.
Incarnation de l’anti-héros falot, obscur petit bonhomme à l’existence dépourvue d’aspérités, Baptiste s’empare de l’identité d’un richissime inconnu faisant le choix d’un nouveau destin. Si le narrateur s’interroge sur celle-ci tout au long du récit, il imagine Olaf Sildur agent secret, mafieux, son prédécesseur demeure un mystère. Cette épouse trop accueillante, ces quiproquos qui durent trop longtemps, les apparences contradictoires laissent planer le doute d’une machination fatale, d’un danger lointain qui tarde à se préciser.
Si la romancière s’amuse à déployer des tensions de thriller auxquelles répondent d’improbables rebondissements, elle ne se prête jamais au jeu des révélations éclairantes. Elle fait fi de toute idée de cohérence et lâche la bride à l’irrationnel. Les questions laissées en suspens ouvrent le champ des possibles. Pétillant, délicieusement amoral.
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Enregistrer un commentaire