Lundi Librairie : De fringues, de musique et de mecs - Viv Albertine



De fringues, de musique et de mecs - Viv Albertine : A la fin des années 1970, Viviane Albertine, gamine de la classe moyenne anglaise, est fascinée par la scène alternative londonienne. Selon sa mère ne s’intéresse qu’aux fringues, à la musique et aux mecs. Elle vit dans des squats, fréquente la boutique de Vivienne Westwood et Malcolm McLaren, se fait remarquer pour son look punk. Avec un enthousiasme candide, elle s’embarque dans ce mouvement aux excès et au nihilisme assumés. Devenue la petite-amie officielle de Mike Jones des Clash, Viv s’achète une guitare et apprend seule à en jouer. Elle veut devenir musicienne dans un milieu quasi exclusivement masculin. Elle envisage un temps de former un groupe avec Sid Vicious pas encore bassiste des Sex Pistols, fréquente Johnny Thunders. Puis, elle rejoint l’un des premiers groupes punks exclusivement féminin the Slits avec lequel elle enregistrer l’album légendaire Cut en 1979. Lorsque tout s’arrête brutalement au début des années 1980, Viv a 27 ans. Sans projet d’avenir ni formation, elle trouve une voie nouvelle comme réalisatrice puis productrice. Avec son mari, elle s’installe à Hastings, s’ennuie, peine à faire un enfant, tombe malade. Puis la cinquantaine venue, sa vocation de musicienne la rappelle. 

Tableau sincère d’une époque à laquelle elle redonne chair, dans son autobiographie hors cadre Viv Albertine dévoile autant une chronique sociale qu’un portrait de femme insoumise, personnalité passionnée, flamboyante. L’émouvante guitariste des Slits, littéralement les fentes en anglais, livre un témoignage décapant, sans tabou, ni concession. Viv Albertine a refusé de se faire aider dans la rédaction de ce récit, contre l’avis même de son éditeur. Et cette initiative révélatrice de la personnalité de son auteur, de son intelligence a donné naissance à un écrivain. Elle maîtrise l’art de raconter les histoires distillant avec sensibilité et humour les anecdotes. Mais la grande réussite de cette puissante confession demeure l’évocation honnête de la révolution culturelle des années 1970, l’observation lucide depuis un point de vue unique de l’impact de ce mouvement qui se revendiquait sans futur.

Texte aussi cru que touchant, l’épopée punk de Viv Albertine se raconte sans nostalgie. Elle démythifie avec sincérité pour mieux ressuscite l’esprit d’une époque, ses errances artistiques comme sa vie affective mouvementée. Autour de la scène underground, il y a bien sûr du sexe, de la drogue et du rock’n roll. Viv Albertine réserve quelques anecdotes savoureuses et une galerie de personnages qui ont changé l’histoire de la musique. Mais dans sa démarche de jeune fille presque candide, ce qui se remarque c’est sa manière de bousculer les stéréotypes, de déverrouiller les carcans et son goût de la transgression. Elle affiche les ambiguïtés de la rébellion punk. Pas d’amertume, ni de coups de griffes revanchards, elle ne cache rien des doutes, des difficultés, des aspérités de son cheminement, son acharnement à exister en tant que musicienne. 

Viv Albertine se révèle puissamment féministe, art de la provocation chevillé au corps en adéquation avec le mouvement punk. Au fil des pages, elle évoque Patti Smith, Yoko Ono, des artistes femmes qui lui ont donné la force d’être elle-même. Dans la musique, elle passe toute sa rage, ses frustrations et son enthousiasme. Cet art est une ouverture au monde autant qu’une révélation intime. La musique éveille en elle une conscience politique. Elle s’engage dans les protestations contre la guerre du Vietnam, dans la lutte pour les droits des Noirs et des femmes.

Parcours de vie haut en couleurs, jeunesse électrisée par la musique, Viv Albertine n’hésite pas dans la deuxième partie du récit à convoquer avec drôlerie et une franchise caractéristique, l’image de la femme vieillissante, les problèmes de santé, ses difficultés à concevoir un enfant, le divorce, les relations amoureuses au-delà de la cinquantaine.

Cette biographie trépidante d’une punkette attachante devenue femme au foyer et rattrapée par le démon de la musique à l’âge où certains songent déjà la retraite, est avant tout un portrait de femme libre et intrépide brûlant d’humanité et d’humilité. Aventure individuelle et geste collective, un livre phénomène. 

De fringues, de musique et de mecs - Viv Albertine - Traduction Anatole Muchnik - Editions Buchet Chastel - Edition de poche 10/18



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.