Expo : Bacon en toutes lettres - Centre Pompidou - Jusqu'au 20 janvier 2020



Grande figure de l’art du XXème siècle, Francis Bacon (1909-1992) était un lecteur vorace. L’importance de sa bibliothèque personnelle, près de 1300 ouvrages et publications diverses, illustre ce goût immodéré des lettres. Son amour de la littérature fut un puissant stimulus créatif, pierre angulaire de son processus artistique. Lors d'un entretien en 1979, avec le critique d'art Franck Maubert, Bacon se confiait : « Comment imaginer la vie sans la littérature ? Sans les livres ? C'est une source fabuleuse, un puits pour l'imaginaire ». Au Centre Pompidou, une vaste exposition, Bacon en toutes lettres, conduite par Didier Ottinger, directeur du Musée national d’art moderne et commissaire de l’évènement, propose par un angle inédit, d’éclairer les œuvres produites durant les vingt dernières années de sa vie à la lumière de ses lectures. Par le biais d’une scénographie intéressante, la démarche plastique de Bacon semble s’inscrire dans la même lignée philosophique que les mots de Joseph Conrad, de Georges Bataille, de Nietzsche, de TS Eliot, d’Eschyle ou de Michel Leiris, les six auteurs retenus pour refléter le lien qu’entretenait le peintre avec la littérature. Les univers poétiques entrent en résonance. Puissance littéraire et modernisme pictural. 











Au Centre Pompidou, entre amour de la littérature et processus créatif, l’interaction entre la production du peintre et les mots est subtilement déchiffrée dans un parallèle entre les toiles de Bacon et les livres de Joseph Conrad, de Georges Bataille, de Nietzsche, de TS Eliot, d’Eschyle ou de Michel Leiris. « Nous avons une grande chance : la bibliothèque de Francis Bacon, qui comptait un millier de livres, a été entièrement conservée et répertoriée. Je me suis dit : “Plongeons là-dedans et voyons si ça donne une clé de compréhension de l’œuvre !” » explique Didier Ottinger.

Les quarante-cinq œuvres majeures du peintre dont douze triptyques, ont toutes été réalisées de 1971, date à laquelle son compagnon George Dyer se suicide, jusqu’à sa disparition en 1995 en Espagne. L’ensemble exceptionnel rassemblé à l’occasion de cette exposition permet de décrypter l’influence de la littérature sur l’oeuvre du peintre britannique. Maîtrise et élégance de la composition, épure du trait, explosion de la couleur, le rose, le mauve, le vert, le bleu, l’orange, durant cette période Francis Bacon ancre son style. 











Le prélude à l’exposition débute par un autoportrait de 1976 entouré de deux portraits de ses préfaciers français, l’un de Michel Leiris, préfacier dès la première exposition parisienne en 1966 à la galerie Maeght et l’autre de Jacques Dupin qui prend le relais de Leiris pour la galerie Lelong à la mort de Leiris en 1990. Le peintre entouré de ses plumes familières invite le visiteur sur les chemins de l’âme humaine.

Les trois premiers triptyques présentés ont été inspirés par le suicide de son compagnon Georges Dyer, deux jours avant la rétrospective du peintre au Grand Palais en 1971. Du rose, du mauve, les couleurs sont éclatantes, la palette chromatique intense. Déjà Bacon pose les bases de son travail à venir, thèmes et formes, tailles des toiles, idée de la composition en triptyque, récit pictural. La libération technique s’incarne dans la virtuosité du dessin, la précision des compositions. Fasciné par la chair, l’animalité, il transcrit la violence des instincts par la simplicité des lignes, une épure du trait rendu strident par le jaillissement de la couleur. La palette chromatique offre un contraste strident entre les pigments éclatants, solaires et le morbide, la violence sanglante des images. 











Les œuvres sont confrontées aux textes des six auteurs sélectionnés, textes littéraires philosophiques dans une scénographie particulière. Dans des cubes vides, plongés dans la pénombre, des extraits de texte, les mots si précieux à Bacon, de Joseph Conrad, Georges Bataille, Nietzsche, de TS Eliot, d’Eschyle ou de Michel Leiris sont lus par des comédiens, Mathieu Amalric, Jean-Marc Barr, Carlo Brandt, Hippolyte Girardot, André Wilms, Valérie Dreville et Dominique Reymond. « Il y a des livres dont il faut seulement goûter, d’autres qu’il faut dévorer, d’autres enfin, mais en petit nombre, qu’il faut, pour ainsi dire, mâcher et digérer » disait-il. Ici, les six livres sont des essentiels. Ainsi souligné, le lien entre les toiles et les ouvrages deviennent évident. Le Triptyque inspiré par l’Orestie d’Eschyle, datant de 1981, fait face à la lecture du texte. Etude pour Corrida II, de 1969, Etude d’un taureau, 1991 sont mis en parallèle avec l’ouvrage de Michel Leiris, Miroir de la tauromachie.

Hédoniste tourmenté au légendaire atelier de chaos, Bacon puise la force de ses sujets dans la représentation d’une forme de bestialité, celle des corps distordus, écartelés, ensanglantés, offerts, lascifs, incarnation de chair des âmes torturées. Attaché à une idée très personnelle de la figuration, il livre l’émotion brute, la perception immédiate. L’artiste se refuse aux constructions de l’esprit pour investir pleinement une vision naturaliste de la condition humaine mêlant le sublime et l’horreur. La vie sans fard, crue, tragique à l’aune d’une existence sulfureuse. 











Si la littérature est présentée au Centre Pompidou comme l’ultime creuset de l’imaginaire, les multiples sources d’inspiration croisent leurs réseaux d’influence sur la toile. Aux tourments intimes, Bacon ajoute les images des corps de lutteurs photographiés par Muybridge, la représentation de l’actualité, les photographies issues de la presse qui permettent de saisir la violence du monde. De ces corps enchevêtrés, où sang, sexe, mort, plaisir s’amalgament, semble jaillir une beauté érotique qui procède du sacré. La puissance de fascination des œuvres livre le secret des motifs obsédants, expérimentations et prises de risque.  

Bacon en toutes lettres
Jusqu’au 20 janvier 2020

Centre Pompidou
Place Georges Pompidou - Paris 4
Horaires : Tous les jours sauf le mardi - De 11h à 21h - Nocturne jusqu'à 23h tous les jeudis



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.