Cinéma : Monrovia, Indiana - Un documentaire de Frederick Wiseman



Monrovia, Indiana est une commune rurale de l’Amérique profonde, traditionnellement acquise à l’idéologie républicaine et rarement montrée, bien loin du rêve américain incarné par le glamour de la Californie ou encore la côte Est des grandes métropoles. Champs de maïs à perte de vue, nature vertigineuse et pavillons en préfabriqué, les habitants mènent une vie rythmée par le cycle des saisons, une existence autarcique totalement déconnectée de l’actualité nationale ou internationale. Parmi les 1400 citoyens de la ville, une population en grande majorité blanche, 76% ont voté pour Donald Trump lors des dernières élections présidentielles. Frederick Wiseman, 89 ans, documentariste multi-récompensé, a posé sa caméra au cœur de ce petit monde étriqué, fermé aux autres. Il s’installe dans les commerces de la ville, l’armurerie curieusement très fréquentée, le salon de coiffure, la pizzeria, filme les interactions sociales à l’église, au cimetière et au funérarium, fréquente la foire agricole, pour regarder vivre sans jamais juger et tenter de comprendre. Il assiste aux réunions de l’équipe municipale où s’opposent progressistes et conservateurs poussant en sous-texte une réflexion sur la conception de la société.







Auteur de plus de quarante films documentaires, Frederick Wiseman s’est plus particulièrement penché dans ses derniers opus sur le thème des institutions culturelles - la bibliothèque publique de New York dans Ex Libris en 2017, l’Université de Berkeley dans At Berkeley en 2013 ou encore le ballet de l’Opéra de Paris dans La Danse en 2009, de villes et quartiers Belfast, Maine en 2013, In Jackson Heights en 2015. 

Avec cette chronique du quotidien, plongée dans l’Amérique de Trump dont le nom n’est pourtant jamais mentionné, le réalisateur interroge le déclin de l’Amérique, la tentation d’un ordinaire autarcique, la réalité du repli sur soi, la peur de l’autre, de la nouveauté, de l’inconnu. Observant sans intervenir, Frederick Wiseman préserve sa neutralité, s’efface totalement, s’abstient de tout commentaire. Il refuse de porter un jugement et laisse les images s’exprimer d’elles-mêmes. Au spectateur de formuler sa propre opinion. 

A la rencontre les électeurs de Donald Trump pour essayer de comprendre leurs raisons, la démarche se fait sociologique. Cette immersion complète dans un patelin du Midwest dresse un portrait social d’une certaine population sur laquelle le réalisateur pose un regard humaniste mais néanmoins sans illusion ni concession.




Dans ces grands espaces sublimés par John Davey à la photographie, le film prend une tournure mélancolique. Le propos met en lumière la contradiction entre la réalité et les mythes devenus dérisoires. L’Amérique terre de liberté et d’égalité, refuge des opprimés, idéal de la libre-entreprise n’existe plus. Demeure la nostalgie des symboles, du folklore américains, les bikers, les vieux musiciens de country, le patriotisme d’apparat grandiloquent, la tradition vidée de sens. Les symptômes du malaise sont d’autant plus flagrants, la malbouffe, l’obésité omniprésente, la prolifération des armes, la vigueur des églises évangéliques. Le refus d’ouverture cache une réalité bien plus insidieuse, la fracture sociale radicale entre les pauvres et les riches. Assez peu rassurant quant à l’avenir. Lucide. Troublant.

Monrovia, Indiana
Documentaire de Frederick Wiseman 
Sortie le 24 avril 2019



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.