Paris : Le Messager, une oeuvre monumentale d'Ossip Zadkine - Quai d'Orsay - VIIème



"Le Messager, le Porteur de présents, le Navigateur", ces trois titres désignent une même oeuvre signée Ossip Zadkine (1890-1967), figure majeure de l’Ecole de Paris. A l’angle du pont des Invalides et du quai d’Orsay, cette sculpture figurative d’inspiration cubiste porte dans ses bras un bateau, qui rappelle à la fois le Navire des Nautes de Lutèce, symbole de Paris, et les ascendances de l’artiste lui-même, héritier d’une famille de constructeur de barges en bois. L’épreuve en bronze, aujourd’hui exposée dans les rues de Paris, a été réalisée par la Fonderie Susse Frères d’après un original en bois. Ce dernier ornait, lors de l’Exposition internationale des arts et technique de 1937, la terrasse sur Seine du Pavillon des bois exotiques. Imaginé par les architectes Michaud et Trottin, l’édifice éphémère s’ouvrait vers le fleuve en un majestueux portique où "Le Messager" de Zadkine accueillait les visiteurs. Si "Le Porteur de présents" a retrouvé le quai d’Orsay en édition bronze, il a néanmoins, de nos jours, troqué le pont Alexandre III pour celui, un peu plus loin, des Invalides. 










Né à Vitebsk, aujourd’hui en Biélorussie, en 1890, Ossip Zadkine suit des cours en Angleterre à l’Arts and Crafts School où il perfectionne ce qui deviendra sa technique de prédilection, la taille directe de la matière. Arrivé à Paris en 1909, il s’inscrit aux Beaux-Arts. Mais son admiration pour Rodin semble incompatible avec l’enseignement académique et six mois plus tard il quitte l’école. 

Le jeune sculpteur affirme peu à peu son style. Il poursuit son exploration des possibilités de la taille directe sur pierre et bois, développe une vision de l’élan créatif en accord avec le désir d’impulsivité, d’immédiateté. Zadkine fréquente l’avant-garde parisienne, Apollinaire, Picasso, Archipenko, Cendrars, Brancusi, Delaunay, Giacometti. Vers 1914, sous l’influence de Lipchitz et Laurens, il s’oriente vers le cubisme, s’éloigne de l’idée de figuration afin d’explorer toutes les possibilités de la matière. Mais son tempérament fougueux entre profondément en contradiction avec l’austérité formelle du cubisme. Il s’émancipe rapidement du mouvement. 

Durant la Première Guerre Mondiale, il s’engage dans la Légion étrangère. Rattaché au service sanitaire, dans une ambulance russe, il produit une série de gravures et d’aquarelles sur le thème des blessés de guerre. A son retour, marqué par son expérience sur le front, Zadkine cherche à imprimer aux formes une nouvelle expression sensible et donne naissance à des oeuvres chargées d'émotion. En quête d’expressivité, il assume néanmoins la dimension plastique de la sculpture. 

Il s'installe bientôt dans l'atelier de la rue d'Assas, investi en 1928, et qui est aujourd'hui un musée à son nom dont je vous parlais ici. Zadkine puise son inspiration dans la déformation expressive au modelé plus souple qui accentue la sensibilité. Fasciné par l’idée de synthèse des volumes, alternance de creux et de pleins, de courbes et de contre-courbes, il se passionne pour statuaire grecque, romane, gothique, les arts africains. 

Contraint à l'exil par les Nazis lors de la Seconde Guerre Mondiale, Ossip Zadkine enseigne à New York. Il revient en France en 1945. Après des années de vaches maigres, il est célébré par ses pairs et fait l'objet de nombreuses expositions entre 1948 et 1950. Jusqu'en 1958, il donne des cours à l'Académie de la Grande Chaumière suivis notamment par Géula Dagan et Geneviève Pezet. En 1967, Zadkine décède à Paris. Il est enterré au cimetière du Montparnasse.










Le travail d’évidemment et de perforation au plus près de la matière marque sa production, enchevêtrement de lignes, jeux de vide et de plein, élancements et déliés. Profondément attaché à la matière, il affirme un lien à la nature que satisfait la taille directe, technique ancestrale pas exempte d’une certaine rusticité. Il cherche à investir l’objet sculpté d’une puissance poétique à travers laquelle les sentiments sont libres de s’exprimer. Voici ce que Zadkine en dit : « Le langage de la sculpture est un néant prétentieux s’il n’est pas composé de mots d’amour et de poésie. »

Le Messager, oeuvre en ronde-bosse, c’est à dire reposant sur un socle, donne un exemple parlant du travail de composition d'Ossip Zadkine. L’artiste semble libérer la forme du bloc même de la matière. La sobriété et la rigueur classique des lignes rencontrent un foisonnement poétique de détails où la fantaisie du sculpteur révèle sa vitalité baroque. La silhouette humaine serait presque végétale dans l’enchevêtrement complexe de ses lignes, son déroulé dans l’espace sur un rythme syncopé. La stylisation des traits, le jeu entre creux et aspérités, l’aplanissement des volumes et les éléments géométriques rappellent les éléments du vocabulaire plastique cubiste tandis que les formes figuratives, la sensualité des courbes organiques, le drapé des tissus, relèvent d’une expressivité moins austère. 

Le Messager - Ossip Zadkine
Angle Quai d’Orsay et Pont des Invalides - Paris 7



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.