Expo : Georges Dorignac, corps et âmes - Musée de Montmartre - Jusqu'au 8 septembre 2019



Célèbre en son temps, injustement retombé dans l’oubli, méconnu de nos jours, Georges Dorignac (1879-1924) a marqué les champs esthétiques de son époque par une série de dessins au fusain ou à la sanguine, des monochromes d’une puissance expressive saisissante. Les figures au modelé contrasté de ces feuilles au noir font sa réputation et attisent l’admiration de ses contemporains. Rodin, en 1914, s’exclame "Dorignac sculpte ses dessins […] Regardez ces mains, ce sont des mains de sculpteurs." De nature indépendante, imperméable aux modes et aux courants dominants, il n’aura cessé toute sa courte vie d’expérimenter la liberté créatrice. Son travail s’illustre par la maîtrise absolue du trait, la radicalité des compositions, la variété des styles et des techniques employées. A la suite des expositions monographiques de Roubaix et Bordeaux en 2016 et 2017, le musée de Montmartre rend hommage aux multiples facettes de cet artiste par le biais d’une exposition qui regroupe 85 œuvres, réalisées de 1901 à 1924. Une grande partie de cet important corpus, disséminé dans des collections privées, des galeries notamment la galerie Malaquais, des musées, est présentée pour la première fois au public. Une occasion merveilleuse de découvrir un très bel artiste.










Né à Bordeaux en 1879, Georges Dorignac intègre à treize ans, l'école municipale des Beaux-Arts de Bordeaux. Ses travaux lui valent de nombreux prix et plusieurs mentions en dessin et en cours d'anatomie. En 1898, il rejoint Paris et s’installe à Montmartre. Admis aux Beaux-Arts, il fréquente l’atelier de Léon Bonnat (1833-1922). Insatisfait de l’enseignement, il quitte l’école pour voyager sur la côte Basque et en Espagne. Il se rapproche de l’école espagnole, signe ses oeuvres Jorge Dorignac. Dans ses portraits familiaux se lit encore l’influence de Renoir, des néo-impressionnistes, dans ses paysages pointillistes celle de Seurat et Signac. 

A partir de 1903, Georges Dorignac se fixe durablement en région parisienne. Vers 1910, il investit avec toute sa petite famille, sa femme et leurs 4 filles, deux ateliers de la Ruche, une cité d’artistes créée par Alfred Boucher que j’évoquais ici. C’est là que s’épanouit dans une atmosphère très cosmopolite la première Ecole de Paris ses voisins Soutine et Modigliani deviennent ses amis. 











Toujours en quête de sa propre voie, Georges Dorignac expérimente et n’hésite pas devant les ruptures de style. Entre 1912 et 1913, il choisit un parti pris audacieux et abandonne les couleurs. Le fruit de cette recherche, une série monochromatique de dessins au fusain, à la sanguine, révèle l’artiste aux cercles des collectionneurs et à la critique, il est notamment remarqué par l’influent Armand Ayot. La galerie Durand-Ruel expose les œuvres de cette période noire composées de grands nus et de visages expressionnistes, de représentations de travailleurs manuels. 

Proche des sculpteurs Raoul Lamourdedieu (1877-1953) et Charles Despiau (1874-1946) son ami de jeunesse, Dorignac a trouvé à leurs côtés densité du trait, nuances des valeurs, une forme de dessin sculptural où l’illusion du volume et des profondeurs joue avec l’ombre et la lumière. Afin d’obtenir un rendu velouté, il utilise du fusain mélangé à de l’huile de lin ou de gomme arabique, de la sanguine et des pastels écrasés, mêle de la pierre noire au lavis.











Sensuels et âpres, ses portraits aux allures de masques ne révèlent leurs traits que progressivement au regard. Leur intensité mystérieuse répond aux nus féminins, blocs d’ébène enserrés dans leur cadre étréci. Dorignac s’inspire des arts premiers très en vogue à cette époque, des portraits funéraires du Fayoum de l'Égypte romaine exécutés entre le Ier siècle et le IVème siècle, du travail des sculpteurs Auguste Rodin (1840-1917) et Jean-Joseph Carriès (1855-1894). 

A contre-courant, les dessins de Dorignac explore la dimension sculpturale des arts graphiques. Les corps ramassés surprennent par la saillance exagérée des nerfs, l’hypertrophie des muscles. Cette massivité des volumes se retrouve dans les silhouettes de travailleurs au labeur. Cette dernière série réinterprète un motif classique inspiré par Millet à travers lequel l’attitude du corps humain incarne la puissance expressionniste. 











En 1914, démobilisé puis réformé, Georges Dorignac s’intéresse aux arts décoratifs. Il entame des collaborations avec les manufactures de Sèvre, des Gobelins ou de Beauvais, le céramiste André Metthey ou encore Jean Dunand laqueur dinandier sculpteur. Ces projets aboutissent rarement mais l’exposition au musée de Montmartre présente les cartons restaurés de tapisseries, céramiques, mosaïques, vitraux. Les compositions foisonnantes abondamment peuplées d’animaux réels ou imaginaires révèlent des références éclectiques, icones byzantines, art roman, arts premiers, tradition égyptienne ou mésopotamienne, tapisseries de la Renaissance, enluminures perses, imagerie populaire, russe notamment. Les personnages bibliques côtoient les héros mythologiques. Les scènes de chasse, de pêche, de travaux des champs dialoguent avec des évocations des sciences ou des œuvres d’art sacré. 

Dorignac meurt prématurément en 1925 à la suite d’une opération. En 1928, une grande rétrospective hommage est organisée par la galerie Marcel Bernheim. Mais son étoile pâlit. Il ne sera redécouvert que dans les années 1990. De nos jours, une poignée de passionnés, dont les commissaires de l’exposition Marie-Claire Manecal et Saskia Ooms, s’acharne avec succès à faire revivre son oeuvre afin que le maître des figures noires accède enfin à la postérité qu’il mérite.

Georges Dorignac - Corps et âmes
Jusqu’au 8 septembre 2019

Musée de Montmartre - Jardins Renoir
12 rue Cortot - Paris 18
Tél : 01 49 25 89 39
Horaires : Ouvert tous les jours de 10h à 19h d'avril à septembre - de 10h à 18h d'octobre à mars - Nocturne jusqu'à 22h tous les jeudis de juillet et août



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.